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Samedi 14 Octobre 2006 | 5:00 | Beyrouth
Interview - Le chef du CPL dédaigne la présidence et le gouvernement pour se
consacrer à la lutte contre la corruption
Michel Aoun : « Il faut restituer aux chrétiens leur rôle d’avant-garde »
Propos recueillis par Jeanine JALKH
À la veille du grand rassemblement organisé demain par le Courant patriotique
libre pour commémorer le souvenir des martyrs du 13 octobre 1990, le général
Michel Aoun aborde, dans une interview à « L’Orient-Le Jour », les grandes
lignes de cet événement, se refusant toutefois à donner des détails sur son
discours tant attendu dans les milieux politiques.
Le chef du CPL saisira-t-il cette occasion pour monter au créneau et poursuivre
sa campagne de dénigrement de l’Exécutif en vue d’un changement gouvernemental ?
Une chose est sûre. Le général Aoun semble désormais bien plus intéressé par la
relance de son rôle d’opposant et de réformiste que par la quête de la
présidence ou de quelques sièges au sein d’un nouveau gouvernement. Son cheval
de bataille sera une révision de la Constitution de Taëf, ou du moins la
restitution aux chrétiens de leur rôle politique d’avant-garde dans un pays qui
n’existerait plus sans eux.
Q – Quelle est l’importance du rassemblement de dimanche à la lumière, notamment,
de la tension qui caractérise la scène politique libanaise ?
R – « C’est une célébration annuelle que nous avions l’habitude d’organiser,
même du temps de l’occupation syrienne.
Cette date symbolise la véritable résistance libanaise, sachant que le 13
octobre a permis de transformer la guerre civile en une guerre nationale de
libération contre un État qui nous avait envahis en bénéficiant d’une couverture
internationale. »
Q – Ce rassemblement sera-t-il également une occasion pour essayer de démontrer
votre popularité dont on dit qu’elle a été sérieusement altérée dans les milieux
chrétiens ?
R – « Les supporters chrétiens sont toujours là où ils sont. Ils ont même
augmenté. Ce n’est pas moi qui le dis, mais les statistiques qu’une société de
recensement respectable vient d’effectuer. Cependant, mon objectif ne sera pas
de démontrer ma force, mais de commémorer les martyrs et de m’adresser aux
Libanais. »
Q – Cette commémoration a-t-elle également un objectif politique à l’heure où
l’opposition réclame un changement gouvernemental ?
R – « L’équilibre politique dans un pays ne peut être assuré que par une
participation réelle au gouvernement, qui est sans cesse reportée. Plus le
soutien populaire au gouvernement en place s’affaiblit, plus il est soumis aux
desiderata des étrangers.
C’est le cercle vicieux dans lequel est pris le pouvoir en ce moment. Le
véritable problème est que l’équipe actuelle a l’illusion qu’elle jouit d’un
pouvoir fort et agit en fonction. La légitimité ne peut être tirée d’aucun État
étranger, mais du seul peuple libanais. Ce pouvoir a été mis en place à l’issue
de l’application de la loi électorale de 2000. Il s’est avéré qu’il ne reflète
pas la volonté populaire. »
Q – Les experts juridiques estiment que la réclamation d’un changement
gouvernemental peut avoir lieu de deux manières seulement : dans la rue, ou
lorsque le Parlement retire sa confiance au gouvernement. Qu’en dites-vous ?
R – « Le recours à la rue est le moyen le moins prisé. Nous préférons le recours
aux institutions. Malheureusement, la légitimité a été subtilisée par le pouvoir.
C’est ce que j’ai appelé la “cleptocratie” qui a eu lieu à cause précisément de
la loi électorale truquée.
Aujourd’hui, ils affirment tous leur attachement à Taëf alors qu’ils sont en
train de trahir et de violer la Constitution, surtout par le biais de la loi
électorale, alors que celle-ci doit être la source de tous les pouvoirs. Un
pouvoir qui ne prend pas sa source dans l’équilibre prévu par Taëf est un
pouvoir illégitime. Par conséquent, aussi bien le principe de l’entente
nationale que la loi électorale – concoctée par Ghazi Kanaan, Hikmat Chehabi et
Abdel Halim Khaddam – ont été faussés. C’est ce qui a créé une scission au Liban.
Il faut se rappeler qu’à l’époque, le conflit entre Damas et Rafic Hariri était
un conflit syro-syrien (Khaddam contre Rustom Ghazalé) sur la scène libanaise. »
Q – Mais vous critiquez une loi électorale que vous avez acceptée en fin de
compte.
R – « Non, les choses ne se présentent pas ainsi. Si l’on revient à l’expérience
(des élections parlementaires) de 92, on peut dire qu’un crime a été commis
contre nous aux niveaux arabe et international. Le peuple libanais avait alors
boycotté la consultation électorale dans une proportion de 87 %, ce qui suppose
normalement l’annulation automatique des effets du scrutin. Cela n’a pas eu
lieu. C’était un pouvoir issu d’un coup d’État qui, de surcroît, a été admis
internationalement.
Quant à la consultation de 2005, nous avons refusé la participation dans les
régions où les effets de la loi conduisaient inévitablement à notre élimination,
comme à Beyrouth et au Liban-Sud. Nous avons fait campagne dans les seules
régions où nous pouvions espérer un certain équilibre. Nous avons saisi notre
chance et avons réussi à entraver l’action de la majorité. Si on avait
totalement boycotté, nous aurions abouti au même désastre qu’en 92. »
Q – Espérez-vous réellement changer les choses si vous accédez au gouvernement,
sachant que le conflit, qui n’a pu être résolu à la table de dialogue, pourrait
se transposer au sein d’un nouveau gouvernement d’union nationale ?
R – « Je ne bataille absolument pas pour accéder au gouvernement. Si l’on me
posait la question, je dirais que la solution réside dans un gouvernement
national. Mais je ne désire pas en faire partie. Ce n’est pas une aubaine.
Je suis dégoûté par la majorité des journalistes et par ceux qui analysent trop.
Le problème est que nous faisons face à une guerre d’intentions. On m’a imputé
des desseins concernant le tribunal international alors que personne ne connaît
encore la teneur du texte établissant cette cour. Personne n’a le droit de dire
que je bloque ce projet parce que je ne l’ai pas fait.
Le gouvernement ne m’intéresse guère. Par contre, j’ai un seul objectif que
j’entends poursuivre. Je réclame un tribunal pour statuer sur les affaires de
corruption. Moi, je suis un réformateur, c’est tout. Et qu’on me laisse
tranquille avec cette question de gouvernement ou de présidence. Par contre, moi
je ne les laisserai pas tranquilles pour ce qui est de la corruption. »
Q – Le chef de la majorité parlementaire, Saad Hariri, a approuvé l’idée. Qu’en
pensez-vous ?
R – « Saad Hariri fait de la surenchère pour essayer de noyer le poisson. Je le
défie d’aller jusqu’au bout. À ce propos, je me demande pourquoi personne,
notamment dans la presse, n’a jamais soulevé le dossier des déplacés de la
Montagne. On s’intéresse à la question du tribunal international en occultant
des scandales aussi importants que celui-ci. Ce n’est pas en tournant le dos à
la corruption que l’on édifie un État conformément aux principes de la bonne
gouvernance. En se taisant, la presse en devient complice. »
Q – Le député Nehmetallah Abi Nasr a proposé récemment une révision de la
Constitution de manière à renflouer les prérogatives du président de la
République qui ont été, selon lui, pratiquement hypothéquées par Taëf.
Allez-vous poursuivre cette campagne au niveau du CPL ?
R – « Le problème ne s’arrête pas à la première magistrature. Au nom de Taëf,
ils (le camp du 14 Mars) ont également usurpé le Parlement et les ministères. La
révision est nécessaire d’autant que la Constitution n’est pas sacrée, sinon on
condamnerait le pays à la mort. La nature veut que l’on progresse selon les
besoins qui apparaissent dans la société.
Le président n’a aucune prérogative maintenant. »
Q – Le député Mohammad Raad a appelé le Premier ministre « Son Excellence, le
président Siniora ». Est-ce que vous êtes d’accord ?
R – « Le chef du gouvernement a certainement outrepassé ses prérogatives pour
correspondre, par exemple, avec les États, s’agissant notamment de la mission de
la Finul navale ou du contrôle des points d’entrée, et en introduisant des
amendements à la résolution 1701, comme s’il était lui-même le secrétaire
général de l’ONU. La Constitution ne lui assure pas de telles prérogatives qui
sont aux mains du Conseil des ministres réuni. »
Q – Les forces du 14 Mars affirment que le problème de la présidence est dû à la
personne même du chef de l’État actuel Émile Lahoud et non à la teneur de la
Constitution. Qu’en pensez-vous ?
R – « On ne peut pas réfuter le fait que la personne de M. Lahoud est peut-être
problématique. Mais cela s’appliquerait également à d’autres personnes au niveau
de leur prestation. La plus grande problématique réside dans la loi qui est
permanente. »
Q – Le principe du tiers de blocage que soulève l’opposition est contesté par
les juristes. Qu’en pensez-vous ?
R – « Ce que je peux dire, c’est qu’au départ, le vice qui a entaché la mise en
place de ce gouvernement a généré de facto le principe des deux tiers de la
majorité et, inéluctablement, du tiers de blocage, même si on ne veut pas le
désigner comme tel. Le régime libanais étant un système consensuel, on ne
pouvait former un gouvernement qu’en prenant en compte, naturellement, le tiers
dit de blocage. Nous ne sommes pas en présence d’un système de majorité et de
minorité. S’il en était ainsi, on n’aurait pas opté pour une répartition
communautaire, mais une répartition politique fondée sur le programme du parti
victorieux qui désignerait alors son Premier ministre et des ministres qui
gouvernent en présence d’une opposition parlementaire. Or, jusqu’à présent, nous
ne sommes pas en présence d’un programme politique, mais d’un programme
communautaire. »
Q – On vous reproche de chercher à entraver la mise en place du tribunal
international et de soutenir par conséquent le camp prosyrien. Est-ce justifié ?
R – « Je suis le seul homme dans ce pays qui a prouvé son indépendance totale et
son imperméabilité à toute ingérence externe. Je ne me suis jamais allié à une
quelconque partie étrangère contre une partie libanaise, que ce soit sur le plan
militaire ou politique. J’existe par moi-même et je prends la position qui sert
l’unité nationale et les intérêts des Libanais.
C’est ma position par rapport au Hezbollah et par rapport à toute autre partie
libanaise.
Je me tiens également aux côtés des chrétiens qui sont aujourd’hui marginalisés
pour rectifier cette situation et leur restituer leur rôle principal dans ce
pays, lequel ne saurait exister sans cette communauté. Cela devrait se faire
soit à travers l’amendement de Taëf, par le biais d’un nouveau Taëf, ou grâce à
une nouvelle entente, peu importe le moyen. Ce que je sais, c’est que dans le
cadre de la Constitution actuellement en vigueur, les chrétiens ne sont
représentés au gouvernement que sous le label du suivisme. »
Q – Quel sera le message principal que vous adresserez aux Libanais dimanche ?
R — « Je décrirai la situation actuelle et les moyens de l’améliorer. Mais je ne
vous en dirai pas plus. »
Propos recueillis
par Jeanine JALKH
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