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NOTE DE LA REDACTION
: Nous tenons à remercier les amis du Liban et spécialement les
journalistes en France et à travers tout le monde francophone pour leur
solidarité avec le Liban.
Les journaux: le Figaro (Spécial
Liban), Le Monde, Le Nouvel Observateur, L' Express, Paris Match, Le Temps,
Le Devoir, ainsi que le quotidien Libanais L'Orient Le Jour.
Le journal l'Express publie un Spécial Liban , avec un forum:
> Quel avenir pour le Liban ? : Israël le noie sous les bombes, le
Hezbollah le prend en otage, la Syrie le considère comme son arrière-cour,
l'Iran en profite pour détourner l'attention de la communauté internationale
ARTICLES RECUEILLIS A TRAVERS LE MONDE
FRANCOPHONE:
L'énigme chiite.
Le point de vue d'Alexandre Adler.
Publié dans
Le Figaro, le 10 août 2006
Le chiisme est aujourd'hui un véritable casse-tête pour les analystes. Qu'on
en juge plutôt : les chiites libanais sont le fer de lance d'une offensive tout
à la fois intégriste et panarabe dirigée contre Israël et, expressis verbis,
contre les États-Unis. Dans le même temps, les chiites irakiens demeurent la
base populaire la plus importante de la présence américaine en Irak. Les chiites
du Pakistan, de l'Inde, du golfe Persique et de Turquie (les Alevis) sont au
contraire les artisans de la laïcisation de l'islam. Et les chiites iraniens se
disputent très ouvertement entre écoles théologiques rivales, dont certaines
prônent une quasi-séparation du spirituel et du temporel, d'autres la théocratie
la plus absolue.
Après tout, cette cacophonie n'est pas non plus étrangère au monde chrétien où,
par exemple, on connaît bien le pasteur «écolo-pacifiste» de France ou
d'Allemagne, autant que l'énergumène sectaire d'Irlande du Nord ou du
Transvaal... Mais ici le problème n'est pas seulement théologique ou culturel,
il est directement politique, et c'est même la clef la plus importante pour
comprendre la situation actuelle.
Les deux versions opposées du chiisme partent de deux sources bien distinctes. À
l'est, l'intégrisme sunnite indo-pakistanais a ciblé, depuis fort longtemps, le
chiisme local comme une doctrine «semi-païenne». Or, il se trouve que de Jinnah
à la famille Bhutto, nombreux sont les chiites à avoir participé dans un rôle de
premier plan à la naissance et au développement du Pakistan, tandis que d'autres
aristocrates de même obédience ont demeuré dans des positions enviées en Inde.
L'idéologie populiste et intolérante d'une armée pakistanaise de plus en plus
influencée par l'Arabie saoudite aura fait le reste. La persécution des chiites
est l'article de foi numéro un des talibans et de leur soutien
saoudo-pakistanais.
Tout à l'opposé, se situe la doctrine d'une partie de l'intégrisme iranien qui,
derrière l'association du clergé combattant, contrôle une bonne part de l'État
persan. Pour cette génération de clercs formés dans la haine tout ensemble du
régime impérial et du marxisme, la source principale d'inspiration a souvent été
sunnite, celle des Frères musulmans égyptiens. Nous retrouvons intacts ces deux
courants dans la mêlée actuelle. Le président iranien Ahmadinejad, héritier
explicite du clergé combattant du défunt ayatollah Behechti, voudrait à toute
force effacer le conflit sunnite-chiite qu'attisent, au contraire, Pakistanais
et Saoudiens.
L'actuelle situation confine en ce moment même au surréalisme, mais sans doute
pas pour très longtemps. La faction intégriste au pouvoir à Téhéran a, par
exemple, libéré un fils de Ben Laden, Saad – qui était placé jusqu'à présent en
résidence surveillée à Yazd, au centre de l'Iran –, afin de prôner la solidarité
des intégristes sunnites avec le combat du Hezbollah libanais. Il est vrai que,
depuis leurs cachettes, Ben Laden père et son associé égyptien Zawahiri n'ont
cessé d'émettre des réserves sur la systématicité antichiite des actions que
menait, en ayant usurpé leur autorité, le Jordanien Zarqaoui sur le terrain
irakien. Cela dit, les deux auteurs du 11 Septembre sont trop tributaires de
leurs hôtes civils et militaires pakistanais pour pouvoir pousser trop loin le
rappel à l'unité, de même que les sympathies évidentes des Frères musulmans
égyptiens et du Hamas palestinien pour le nouveau cours terroriste de l'État
iranien ne parviennent toujours pas à faire cesser l'affrontement entre sunnites
et chiites, à Bagdad.
Il y a des raisons secondaires à la poursuite de cet affrontement, telles que
l'intervention discrète de subsides saoudo-pakistanais foncièrement antichiites.
De même, un certain nombre d'éléments chiites libéraux, derrière Allaoui et
Chalabi, ne sont pas mécontents que la minorité sunnite d'Irak se soit
d'elle-même enfermée dans une attente sanglante et sectaire (bien plus
meurtrière évidemment que l'actuelle contre-offensive israélienne, au Liban).
Toutefois, la cause principale ne tient pas à telle ou telle conspiration
externe, mais tout simplement à la volonté d'une large majorité chiite du pays,
longtemps bafouée, et par ailleurs détentrice des véritables lieux saints de
leur croyance, de relever enfin la tête. Il s'agit là d'une logique redoutable
pour une fraction de la mollahcratie iranienne. Si le grand ayatollah Sistani,
qui est lui-même iranien, réussit en Irak, il aura démontré qu'une culture
religieuse chiite majoritaire peut s'affirmer dans le cadre d'institutions
électorales sincères et d'une liberté religieuse certaine, tout en renforçant
pacifiquement le rôle du clergé. Ce programme, c'est tout simplement celui des
progressistes iraniens de l'ancien président Khatami et de son frère, et
celui-là même, de plus en plus clairement, des pragmatiques à la Rafsandjani.
En politique extérieure, ce grand tournant implique le succès de la démocratie
libanaise, la victoire d'éléments pragmatiques en Syrie et aussi en Arabie
saoudite, l'alliance stratégique et économique avec la Turquie et, surtout,
l'association avec les États-Unis, à Bagdad et à Kaboul aujourd'hui, très
évidemment à Beyrouth et à Ramallah demain. Devant une telle menace potentielle
de renversement des alliances au Moyen-Orient, on comprend mieux que ceux qui
savent déjà qu'ils y seront sacrifiés à Téhéran aient pu demander à leurs amis
du Hezbollah libanais d'interrompre cette évolution si dangereuse. Au risque,
bien sûr, de faire perdre à Nasrallah et aux siens tout ce qu'ils avaient
laborieusement gagné au Liban, en se refusant depuis deux ans à jouer le rôle de
police supplétive de la Syrie.
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Pleurer, mille fois
L'article de Ziyad MAKHOUL
L'orient Le Jour | Le 9 Aout 2006
On avait cru que ressembler à Steffi Graff pouvait laisser espérer un peu de
talent, surtout dans le renvoi de balles, dans les négociations plutôt que dans
les déluges de fer et de feu. On avait cru, aux premières secondes, que la
nomination d'une femme à la tête du ministère des Affaires étrangères d'un pays
pourtant bien plus rompu aux canons, F-16, massacres et autres crimes contre
l'humain qu'à la diplomatie allait mettre un poil d'humanisme, d'humanité,
justement, au sein d'une entité qui, jusqu'à nouvel ordre, n'a prouvé que dans
la boucherie une bien sinistre maestria. On avait cru, pendant un court instant,
lorsqu'elle avait fait le distinguo entre les opérations-suicide palestiniennes
qui visent la population israélienne et celles menées contre Tsahal, lorsqu'elle
avait reconnu que ces dernières n'étaient pas, ne pouvaient pas être qualifiées
de terroristes, on avait cru qu'il était possible finalement de voir, en Israël,
depuis le gigantesque Yitzhak Rabin, un ministre essayer de faire plafonner son
QI plus loin que le 2. Mais n'est même pas Golda Meir qui veut : en demandant
hier à Fouad Siniora de sécher ses larmes et de commencer à agir pour créer un
meilleur avenir, une vie plus normale, en premier lieu pour les civils qu'il
pleure, Tzipi Livni n'aura réussi à faire que du Britney Spears : un minishow en
plein Knesset, (il) legally blonde avec l'intelligence en moins, nouvelle et
grande prêtresse de la politique-pétasse.
Sorties de leur contexte, désincarnées, ces énièmes larmes de Fouad Siniora
pourraient effectivement faire un peu guimauve, stérile sensiblerie, mauviette
dépassée par les événements. Fouad Siniora pleure : sur les enfants déchiquetés
; sur le pays mutilé ; sur son si cher Rafic encore une fois, deux fois, cinq
fois assassiné ; sur cet aéroport et ces ponts détruits et qui ont fini de
désassembler l'exception libanaise ; sur cet exodus infini, ces Libanais qui
n'ont plus de toit ; sur tout ce temps perdu, peut-être irratrapable, pendant
lequel il répétait, inlassablement, à Hassan Nasrallah et ses alliés ce qu'il
fallait faire pour éviter ça, pour éviter la délibanisation d'un Liban
ultrafragile ; il pleure sur la désormais célèbre duperie autour de la table à
Quatorze ; sur cette occasion en or offerte si gracieusement aux généraux
israéliens ; il pleure, parce que les 15 000 soldats libanais, cela fait au
moins six ans qu'ils auraient dû aller là-bas, au Sud ; il pleure parce que
cette urgence est tellement délicate : quels contingents envoyer ?... ; il
pleure sur tout ce could have been parti en fumée quelques heures à peine après
que le Hezb a eu cette brillante, cette si prétentieuse idée d'aller provoquer,
sur son territoire, la quatrième armée du monde, la première en termes
d'inhumanité. Il pleure pour et avec les Libanais.
Sauf que chacune des larmes de cet anti-zaïm par excellence, de ce néo-homme
d'État comme seul les technocrates peuvent l'être, chacune d'entre elles précède
ou suit un engagement de chaque minute à faire, aux antipodes des fantasmes
américains, aux antipodes des besoins d'apocalypse du tandem irano-syrien, la
paix * durable. Pérenne. De ces larmes partagées avec le monde, même un peu
honteusement, Fouad Siniora tire toute cette force dont n'importe quelle machine
aurait eu besoin pour : tenir tête aux Israéliens, aux Américains, aux Iraniens,
aux Syriens, au Hezbollah ; convaincre les autres, Français en tête, des
incontournables nécessités de la réalité libanaise ; résoudre cette perverse et
vitale équation, dont même le plus joueur, le plus retors des mathématiciens ne
voudrait pas : comment asseoir à tout jamais, à tous les niveaux, la seule
autorité de l'État, tout en évitant le moindre des clashes intercommunautaires ?
Alors, cet homme, tant qu'il se tue à la tâche, tant qu'il résiste, eh bien
qu'il pleure, rit, sue ou éructe tant qu'il veut. Et il séchera ses larmes s'il
le veut. Quand il le voudra.
Au choix des armes d'Israël et du Hezbollah, Fouad Siniora propose ces
larmes-là, les siennes ; instruments de vie, outils politiques bien plus
efficaces, bien plus féconds, lorsqu'il s'agit de prendre des décisions et de
poser des actes dont dépend l'avenir de la région * et ces larmes-là, l'histoire
les retiendra un jour. Seules. Dans leur majorité, Tzipi Livni, les Libanais
n'ont pas seulement des tripes et une tête : ils ont aussi du c*ur. Et avec un
peu de coeur, même la reine des dindes devient moins sotte. Moins antipathique.
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Liban. Sur les routes
sanglantes de l’exode.
Auteur : Patrick Forestier
Paris Match | Magazine:2984
du 27/7/2006
« Maman, s’il te plaît, ne t’endors pas », supplie Ali, 12 ans. Sa mère ouvre
péniblement les paupières et soupire : « Je vais mourir... » Sa grand-mère a été
tuée quand le missile a atteint le véhicule à bord duquel la famille fuyait les
bombardements. Photo : Ghaith Abdul-Ahad.
Chassés du Sud par les attaques
israéliennes contre le Hezbollah, des dizaines de milliers de civils fuient vers
Beyrouth et la Syrie. A leurs risques et périls.
Le jeune garçon sanglote, blotti contre sa mère, grièvement blessée par
une bombe... L’image de l’incroyable tragédie libanaise. Depuis le 12 juillet,
le Liban est replongé en enfer. Les Israéliens veulent en finir avec le
Hezbollah, en bombardant systématiquement tous ses fiefs, à Beyrouth, dans l’est
et le sud du pays. Mais aussi en détruisant les routes, les ponts, les antennes
de communication... Il faut asphyxier la milice chiite, la priver de mobilité et
de logistique. Ce déluge de feu a déjà tué 381 personnes en quatorze jours, dont
334 civils, et jeté un demi-million de personnes sur les routes. Selon l’Unicef,
un tiers des victimes sont des enfants. Philippe Douste-Blazy, ministre français
des Affaires étrangères, a accompli un véritable marathon diplomatique : la
France, amie historique du Liban, met tout en œuvre pour éviter l’embrasement du
Proche-Orient.
Dans Beyrouth terrorisé, on traque les traîtres et les espions
qui placent de petites balises métalliques devant les buildings et sous les
autos que l’aviation israélienne prendra pour cibles.
Dépêchez-vous », intiment deux jeunes à la barbe naissante du Hezbollah qui
hantent les rues désertes. Les militants du parti de Dieu sont les seuls
désormais à rester dans les ruines de Haret Hreik, le cœur du périmètre de
sécurité Hezbollah dans les quartiers sud de Beyrouth, vides aujourd’hui de
leurs 500 000 habitants. Rue Ali-Reda, un immeuble a été pulvérisé, en face
d’une mosquée. « Qui habitait ici ? » demandé-je à un homme qui s’apprête à
s’engouffrer dans la cage d’escalier voisine. « Personne en particulier. Le
rez-de-chaussée était occupé par un supermarché », me répond-il dans un mauvais
anglais. Un haut responsable du Hezbollah occupait-il un appartement dans cet
immeuble détruit ? Je n’en saurai pas plus. Ici, on n’est guère bavard avec les
étrangers, toujours suspectés d’être à la solde de l’ennemi sioniste. Juchés sur
des scooters, d’autres membres du Hezbollah patrouillent entre les décombres
pour repérer tout mouvement suspect. « Ils ont déjà arrêté un homme qui passait
plusieurs fois au même endroit en filmant en cachette, m’a raconté la veille un
intellectuel proche du parti de Dieu. Deux autres ont été pris au moment où ils
plaçaient de petits cylindres métalliques sous des voitures et devant plusieurs
buildings. C’étaient en fait des balises qui permettent aux avions israéliens
d’identifier leur cible. »
Plusieurs services de renseignement de l’armée qui travaillent avec le Hezbollah
ont procédé à l’arrestation de 32 agents libanais soupçonnés d’appartenir au
Mossad. Des femmes seraient parmi eux. Vrai ou faux ? Une forte paranoïa existe
en tout cas au sein du parti, qui craint par-dessus tout d’être infiltré. On se
souvient de ce cireur de chaussures sur Hamra, l’artère commerçante de
Beyrouth-Ouest musulmane qui, le jour de l’offensive de Tsahal en 1982, s’est
révélé être un officier des services secrets israéliens parlant parfaitement
l’arabe. Avenue Abbas, les destructions sont plus nombreuses. Vers le siège
d’Al-Manar et d’Al-Nour, la télévision et la radio du parti, l’endroit est
méconnaissable. C’est comme si un typhon avait creusé une immense tranchée au
milieu du quartier. Des pans de béton s’enchevêtrent sur plusieurs mètres de
haut à côté des amas de gravats qui jonchent le sol. « Les Israéliens sont sans
cœur ! Regardez ce qu’ils font. Ici, il n’y avait que des civils », hurle,
hystérique, un représentant du parti. Il oublie de préciser que l’endroit
abritait le bureau et le domicile d’Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, le
siège du parti et plusieurs officines tout aussi opaques.
Aujourd’hui, le « petit Téhéran », créé par le parti de Dieu à cinq minutes en
voiture du centre-ville, n’est plus que décombres. Les femmes voilées et les
mollahs ont disparu, mais les principes religieux restent toujours ancrés dans
l'esprit des militants. « Ne me touchez pas ! » lance en sursautant le guide du
« Hezb » à la journaliste d’une télévision allemande qui, en trébuchant, a
touché son bras avec le sien. Ici, une femme ne serre pas la main d’un homme. A
moins d’être mariée, tout contact entre les deux sexes est péché. Posté à côté
de son scooter, un homme barbu surveille nos faits et gestes. « A la fin, on va
gagner. Israël ne nous a pas touchés. On a perdu moins d’une vingtaine de
combattants », me dit-il. Il affirme s’appeler Abou Ali Akbar, mais avoue
facilement que c’est un nom de guerre. « Militairement, on est plus fort
qu’avant, car la plupart des Libanais sont maintenant avec nous », poursuit-il.
Quarante-deux ans, père de cinq enfants, Ali milite au parti depuis deux
décennies, « sans être payé », précise-t-il. En parallèle, il fait du « business
» pour nourrir sa famille, comme il est d’usage chez les partisans du Hezbollah.
Soudain, en deux-roues, mais aussi à pied, des jeunes surgissent de nulle part.
« Vite, vite ! Il faut partir », crient-il en regardant le ciel. Tous sont prêts
à défendre ces ruines devenues autant d’abris naturels, d’une opération
israélienne, au cas où les commandos de Tsahal débarqueraient en hélicoptère ou
par la mer.
Alignés contre le mur
de l’hôpital de Tyr, 80 cercueils de victimes des bombardements israéliens
attendent qu’un proche vienne les réclamer. Parmi eux, du n° 22 au n° 26, les
cinq cercueils de la famille Bazi. Sur ces sobres « caisses », tracées à la
main, de simples inscriptions indiquent des noms et prénoms : roses pour les
femmes, noires pour les hommes. Peu de corps sont récupérés par les familles car
nombre de Libanais ont déjà quitté cette zone portuaire du Liban, coupée du
reste du Sud par les tirs de missiles israéliens. Au bout de quelques heures
seulement, les cercueils non réclamés seront acheminés vers des terrains vagues
situés à proximité de l’hôpital et mis en terre dans des fosses communes
provisoires. Le marquage des cercueils permettra un jour peut-être aux familles
des victimes de leur offrir une sépulture digne de ce nom. Photo : Alvaro
Canovas.
Hassan Nasrallah, leader du hezbollah, aurait
trouvé refuge chez ses alliés iraniens.
Jérusalem estime que la zone abrite encore des objectifs puisqu’elle est
bombardée chaque jour. La semaine dernière, une mosquée en construction de Bourj
Barajneh, un quartier près de l’aéroport, a été la cible de plusieurs avions :
elle aurait caché un bunker où se tenait une réunion avec Hassan Nasrallah.
Depuis, le leader est apparu sur la chaîne d’information qatarie Al-Jazira, très
introduite dans le monde islamique. Les journalistes auraient été amenés les
yeux bandés dans un endroit inconnu. Pour bien montrer à son opinion que rien
n’a changé pour Nasrallah, son entourage avait reconstitué le même décor que
celui de son bureau détruit. L’interview a duré près d’une heure et demie.
Apparemment en meilleure forme que lors de son entretien précédent, calé dans un
fauteuil devant le drapeau du Liban et celui de son parti, il a annoncé
tranquillement qu’il poursuivait son combat malgré les raids israéliens qui
veulent l’éliminer. A Beyrouth, on dit qu’il pourrait avoir trouvé refuge à
l’ambassade d’Iran, proche des quartiers sud. Chez les chiites – près de 35 % de
la population –, Nasrallah et son parti sont populaires. Tous ne partagent
cependant pas son radicalisme et n’approuvent pas ses liens avec Damas et
Téhéran.
L’exode provoqué par l’offensive israélienne a poussé des dizaines de milliers
de personnes dans les quartiers sunnites de Beyrouth. Mais pas seulement.
Achrafieh, fief historique chrétien, accueille aussi des réfugiés du sud dans
les écoles publiques. « Je ne fais pas de politique. On veut vivre en paix.
C’est tout », me souffle Ali Fadel, mécanicien dans un garage, qui attend que
l’orage passe avec sa famille. « Jacques Chirac, il est fort. La France est la
maman du Liban », balbutie-t-il dans un français hésitant.
Pour tous, cet affrontement d’un genre nouveau est un désastre. Mais, sans la
surveillance des agents du parti, omniprésents dans les régions chiites, les
jugements sont nuancés. Lorsqu’il n’y a pas de caméras de télévision, les
vociférations contre Israël et les louanges de Nasrallah sont beaucoup moins
fréquentes. C’est plutôt un abattement général qui prévaut chez ces familles qui
dorment à plusieurs dans des salles de classe. Dans l’école voisine, une
violente dispute a éclaté entre deux femmes. L’une, de la communauté sunnite,
dont le leader Rafic Hariri a été assassiné en 2005, a osé critiquer le
Hezbollah « qui a plongé le pays dans la guerre ». Une autre femme, chiite
celle-ci, lui a sauté dessus en l’insultant. « Comment peux-tu dire cela quand
mes deux fils sont au front ? »
Même Broummana, la banlieue chic qui domine la capitale, recueille des familles
chiites dans ses écoles. Là, ce sont des militants du général Michel Aoun, le
leader chrétien qui a signé un pacte d’entente avec le Hezbollah, qui officient.
Pierre Achkar, le maire, est un pragmatique, il a la réputation de dire ce qu’il
pense. « Il y a quelques années, me dit mon chauffeur, la ville avait accueilli
le roi Abdallah et sa suite composée de plusieurs centaines de personnes. Tous
les hôtels étaient complets. “Me permets-tu de bâtir une mosquée chez toi ?” a
demandé le Saoudien. “A condition que tu m’autorises à construire une église à
Ryad !” a répondu le maire. Le roi a dit que plus aucun Saoudien ne viendrait
désormais à Broummana. Mais Pierre Achkar a tenu bon. » « D’accord pour que le
Hezbollah désarme, mais qu’on nous dise comment, me dit l’élu chrétien. Les
Libanais sont incapables de l’imposer, à moins qu’on veuille plonger le pays
dans une nouvelle guerre civile. Israël et l’Amérique n’ont qu’à attaquer la
Syrie et l’Iran, couper le financement de plusieurs centaines de millions de
dollars par an que ces pays offrent au Hezbollah. Si un grand nombre de chiites
suit le parti de Dieu, c’est qu’il paie ses combattants, des salariés, soigne
gratuitement dans ses hôpitaux. Pour guérir un cancer, on ne soigne pas le
malade avec des compresses, poursuit Pierre Achkar. Ce n’est pas en détruisant
toutes nos infrastructures que les Israéliens vont y arriver. Le problème, c’est
que, dans cette fuite en avant, les deux parties ne peuvent pas perdre. Mais
aucune ne pourra gagner non plus ! »
A la nuit tombée, Beyrouth retient son souffle. C’est le moment, avec les
premières lueurs de l’aube, où les raids israéliens sont les plus fréquents.
Dans le silence, un bruit de moteur résonne dans l’obscurité, comme si un petit
appareil à hélice volait au-dessus de nous. C’est un drone, un avion sans pilote
qui survole la ville en filmant les rues avec sa caméra infrarouge. Rien ne
semble échapper aux yeux de Tsahal. Il y a quelques jours, des hélicoptères ont
tiré des roquettes sur deux vieux camions de forage entreposés sur un chantier
arrêté depuis belle lurette : ils avaient sur les côtés des tuyaux qui pouvaient
être confondus avec des missiles. Les Israéliens n’ont pas voulu prendre de
risques : ils ont tiré en pleine ville, cette fois-ci au milieu de la journée.
Soudain, une forte explosion, suivie de deux autres, au bruit très sec, retentit
à la limite des quartiers sud, distants d’à peine 2 kilomètres à vol d’oiseau.
Les jets israéliens viennent de larguer leurs bombes. Elles n’effraient pas le
père Naoum, 80 ans, et toujours judoka émérite. « Qui est ce Nasrallah qui se
prend pour Nasser ou Saddam Hussein ? peste le vieux lazariste qui a représenté
vingt-deux ans le pape au Sud, même pendant l’occupation israélienne. Tout le
monde n’est pas d’accord avec le Hezbollah, qui représente un danger pour le
Liban et le Moyen-Orient. J’espère qu’après cette guerre la région trouvera
enfin la paix et qu’on pourra vivre ensemble, sans qu’une communauté veuille
s’imposer sur les autres. » Arrive dans le couvent un convoi de minibus. Les
passagers brandissent des drapeaux tricolores aux fenêtres. Ce sont des
Franco-Libanais que les gardes de sécurité de l’ambassade sont allés chercher
dans le lycée de Nabatiyé, une ville bâtie à la lisière de la région sud où ils
s’étaient regroupés. Beaucoup viennent des villages alentour. « Vive la France,
qui ne nous a pas laissés tomber ! Merci aux policiers et aux militaires
français qui risquent leur vie pour nous ! » me lance une femme coiffée d’un
foulard. « Les bombardements sont incessants. Ils veulent vider le Sud de tous
ses habitants », clame Yolande. Partout, l’aviation balance ou largue des
tracts. Sinon, le téléphone sonne chez les habitants du Sud. « Ici l’Etat
d’Israël, annonce un disque automatique. Vous devez quitter votre domicile car
votre gouvernement est incapable de vous protéger. » La Française est entourée
de sa fille et de son gendre, d’origine libanaise, médecin à l’hôpital de Gap.
Ils étaient en vacances dans la belle-famille lorsque la guerre a commencé. « Le
Hezbollah est tombé dans le piège d’Israël, qui n’attendait qu’un prétexte pour
l’éliminer. Quitte à tuer des centaines de Libanais », affirme encore le
docteur.
Dans cette guerre asymétrique, le rouleau compresseur israélien semble toutefois
connaître des difficultés. Le recours massif à l’aviation ne peut pas tout face
à un ennemi très mobile, donc insaisissable. « D’où la tactique de la terre
brûlée à l’envers. Dans le cas présent, Tsahal ne veut plus âme qui vive non pas
derrière, mais devant elle », m’explique un officier européen qui, cartes à
l’appui, suit la situation de très près avec ses collègues. « Les Israéliens
sont en train de pratiquer un cloisonnement du pays pour empêcher toute aide de
quelque nature que ce soit au Hezbollah. Les bombardements des ponts et des
routes sont destinés à isoler chaque région. Les trois aéroports du pays sont
hors d’usage. Difficile aujourd’hui pour un convoi de munitions de venir de
Syrie pour rejoindre les combattants du Hezbollah au Sud. »
Si, pour la première fois, deux camps de l’armée libanaise ont été bombardés,
c’est qu’ils abritaient des dépôts de munitions qui pouvaient être distribuées
en sous-main aux moudjahidin. Idem pour les cinq stations radars côtières. Si
elles ont été détruites, c’est que Tsahal soupçonne l’armée libanaise de
communiquer les positions des bateaux israéliens au Hezbollah, qui a pu ainsi
toucher une corvette dans les premiers jours du conflit. Les relais de téléphone
ne sont pas non plus épargnés. Objectif : entraver les communications entre les
« premières lignes » et l’arrière. Al-Manar continue pourtant de fonctionner
grâce à des studios disséminés en ville et à des techniciens militants qui
réparent les émetteurs dès qu’ils sont touchés. Un studio mobile dissimulé dans
un petit camion est probablement à l’œuvre. Al-Manar mélange d’anciens films de
propagande aux images de la télévision israélienne qui montrent les blessés et
les voitures en feu d’Haïfa. Au drapeau frappé de l’étoile de David, pulvérisé
dans un savant montage par des missiles, succèdent des commandos du Hezbollah
habillés d’un treillis, coiffés d’un casque lourd et armés d’un M-16 fabriqué
aux Etats-Unis !
L’école de Maaraké, à
15 kilomètres de Tyr, n’accueille plus d’enfants mais des réfugiés. Dans son
fauteuil roulant, cette Libanaise est handicapée depuis la dernière guerre du
Liban. Ces derniers jours, elle a fui sa maison par peur des bombardements, mais
son handicap et ses faibles moyens financiers ne lui permettent pas d’aller plus
loin. L’homme assis est de sa famille mais l’enfant qu’elle tient dans ses bras
n’est pas le sien. Ce sont les plus pauvres qui s’entassent dans ces salles de
classe en espérant être à l’abri des bombes. La plupart d’entre eux n’ont pas le
choix. Autour du village, les routes sont pilonnées par l’armée israélienne,
coupées ou défoncées. Les taxis et autres chauffeurs improvisés qui osent
piloter en plein désastre réclament de 300 à 1 000 dollars pour le trajet
jusqu’à Beyrouth. Photo : Alvaro Canovas.
Sans l’interposition de forces internationales, cette
guerre d’usure pourrait durer.
« Ma mère, qui est restée au village, m’a dit au téléphone qu’elle les voit
cheminer à pied, le visage noirci comme les troupes spéciales américaines », me
souffle Walid, un chiite du Sud. En plus des quelques centaines de combattants
aguerris qui tirent encore des roquettes sur Israël, le Hezbollah serait capable
de mettre en œuvre au moins 5 000 guérilleros. Leur tactique : se dissimuler
dans les grottes et les caches qu’ils ont creusées depuis le retrait israélien
en 2000. Des souterrains pourraient même abriter des véhicules qui, une fois
leurs missiles tirés, reviendraient se mettre à l’abri. « C’est pour cela que
Tsahal procède à des incursions, toujours très risquées, me confie un militaire
français. Pour tenter de casser ces lignes Maginot constituées de bunkers qui
surplombent la Galilée. » Une guerre d’usure qui risque de prendre du temps. A
moins que des troupes internationales, y compris françaises, ne se déploient sur
la frontière. A condition, pour Israël, que ses deux soldats prisonniers soient
libérés et que le Hezbollah se laisse désarmer...
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La naissance du Hezbollah et les
racines de son action politique
L’étude réalisée par Michel HAJJI GEORGIOU et Michel TOUMA
Source:
L' orient Le Jour
L’émergence du Hezbollah sur la scène libanaise au début des années 80 est
incontestablement le fruit de la mise en place de la République islamique en
Iran. L’opération israélienne « Paix en Galilée », en 1982, a constitué dans ce
cadre un catalyseur à la création du parti intégriste chiite. Après avoir exposé
le lent processus historique et sociopolitique qui a pavé la voie à
l’implantation du Hezbollah au Liban (voir L’Orient-Le Jour du samedi 29 juillet),
Michel Hajji Georgiou et Michel Touma abordent, dans un deuxième article, le
contexte qui a accompagné la naissance et la diffusion du parti chiite au Liban,
évoquant en outre l’importance du culte du martyre chez le Hezbollah, et les
chiites en général, ainsi que les grandes orientations politiques de la
formation intégriste.
Ces articles sont tirés d’une étude publiée par les auteurs dans le numéro 77 de
la revue Travaux et jours de l’Université Saint-Joseph.
L’instauration de la République islamique en Iran, en février 1979, et la
politique d’exportation de la révolution pratiquée au début par le nouveau
pouvoir ont été, à l’évidence, le principal catalyseur du développement de la
mouvance intégriste chiite dans le pays. Lorsque l’Ayatollah Khomeyni prit les
commandes à Téhéran, des groupuscules islamistes chiites étaient déjà actifs au
Liban, mais à une échelle réduite. Il s’agissait essentiellement du
Rassemblement des ulémas de la Békaa, des « comités islamiques », et de la
branche libanaise du parti chiite irakien al-Daawa (dont sayyed Mohammad Hussein
Fadlallah se faisait le porte-étendard au Liban).
Cette nébuleuse s’est maintenue jusqu’à l’opération israélienne « Paix en
Galilée », en juin 1982. La rapide percée des troupes de Tsahal jusqu’aux portes
de Beyrouth a incité ces groupuscules chiites à mener des opérations ponctuelles
de résistance. Les rangs de cette mouvance intégriste ont été renforcés durant
ce mois de juin par l’apparition d’une dissidence au sein du mouvement Amal,
dirigé par Nabih Berry depuis la disparition de Moussa Sadr en Libye, en août
1978. À la suite de la décision de Nabih Berry de faire partie du Comité de
salut formé en juin 1982 par le président Élias Sarkis (et regroupant le chef du
gouvernement, Chafic Wazzan, ainsi que Béchir Gemayel et Walid Joumblatt),
plusieurs responsables et cadres mèneront une dissidence en créant le mouvement
Amal islamique.
Face à l’ampleur de l’offensive israélienne, les responsables des différents
groupuscules en question ont pris conscience de la nécessité de mettre sur pied
une structure partisane bien organisée dont les fondements et la stratégie
d’action seraient basés sur les trois axes suivants :
– L’islam constitue la ligne de conduite globale en vue d’une vie meilleure. Il
représente le fondement idéologique, pratique, de la pensée et de la foi sur
lequel devrait être bâtie la nouvelle formation politique.
– La résistance contre l’occupation israélienne est une priorité. Il est par
conséquent nécessaire de créer une structure adéquate pour le jihad et de
mobiliser toutes les potentialités nécessaires sur ce plan.
– Le commandement revient au guide suprême (à l’époque l’Ayatollah Khomeyni), en
tant qu’héritier du Prophète et des imams. C’est à lui que revient la charge de
définir les grandes lignes de l’action au sein de la nation (islamique), et ses
décisions sont contraignantes1.
À la lumière de ces trois principes fondamentaux, les responsables des
groupuscules chiites multiplieront les réunions et les débats internes afin de
jeter les bases de la nouvelle formation politique en gestation. Ces débats
déboucheront sur l’élaboration d’un document politique fondateur. Un comité de
neuf – trois représentants du Rassemblement des ulémas de la Békaa, trois des
Comités islamiques et trois du mouvement Amal islamique – sera chargé de
soumettre ce document au guide suprême. Après avoir obtenu l’aval de l’Ayatollah
Khomeyni, les différents groupuscules concernés se sont autodissous pour former
un seul parti fédérateur qui prendra pour nom le Hezbollah2.
Ce processus de fusion a donc été lancé dans le courant de l’été 1982, mais ce
n’est qu’à la fin de l’année 1983 que le Hezbollah verra formellement le jour.
Le processus ne viendra à maturation qu’au début de 1985 lorsque le Hezbollah
dévoilera son premier programme politique.
Rapidement, la nouvelle formation bénéficiera de l’appui politique, logistique
et militaire de l’Iran par le biais, notamment, de l’envoi, via la Syrie, de
cadres et d’experts des Gardiens de la révolution qui mettront sur pied des
camps d’entraînement militaire dans la Békaa afin de former les militants du
Hezbollah.
Le culte du martyre
Dans un premier temps, entre 1982 et 1985, la mouvance intégriste accordera la
priorité absolue aux opérations de résistance contre Tsahal. En dépit du profond
déséquilibre des forces en présence, les combattants chiites ont rapidement
réussi à porter des coups durs à l’armée israélienne. Ces réussites ponctuelles
contre le géant israélien s’expliquent essentiellement par l’importance que
revêt la notion de martyre dans l’inconscient chiite.
Le martyre de l’imam Hussein lors de la bataille de Kerbala (680) constitue pour
les chiites croyants un mythe, un exemple à suivre au niveau de chaque individu.
Le jeune chiite reçoit, dès son jeune âge, une éducation basée sur l’idéal du
martyre. Le « numéro deux » du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, souligne à ce
propos, dans son livre sur le parti, que « si les gens reçoivent une éducation
fondée uniquement sur la recherche de la victoire, qui devient ainsi à la base
de leur action, leur lutte contre l’ennemi s’estompera s’ils réalisent que la
victoire est lointaine ou incertaine ». « Par contre, précise-t-il, si les gens
reçoivent une éducation fondée sur le martyre, leur don de soi a pour effet
d’accroître au maximum l’efficacité de leur action. S’ils tombent martyrs, ils
auront réalisé leurs vœux. S’ils réalisent une victoire, ils auront obtenu une
vive satisfaction au cours de leur vie ici-bas. L’éducation basée sur la notion
de victoire ne garantit pas la victoire et inhibe la force potentielle de la
nation. Par contre, inculquer la notion de martyre revient à tirer profit de
toutes les potentialités, ce qui permet de réaliser le martyre ou la victoire,
ou les deux en même temps. Cela ouvre la voie à toutes les possibilités.
Inculquer la notion de victoire implique de miser sur les moyens matériels, mais
inculquer la notion de martyre a un effet mobilisateur au niveau du moral (de la
population), ce qui implique que des moyens limités deviennent nécessaires »
pour mener la lutte3.
Tomber martyr au service des préceptes de Dieu devient ainsi un honneur suprême
pour tout jeune chiite. Et l’objectif sur ce plan n’est pas tant de remporter
une victoire militaire directe et immédiate, mais plutôt d’avoir eu le privilège
d’être martyr, de s’être sacrifié par amour du Tout-Puissant, d’autant que la
vie dans l’au-delà promet le bonheur éternel. Rester attaché à la vie d’ici-bas,
motivée par les contingences matérielles, est donc insignifiant devant l’honneur
que représente le martyre au service de Dieu.
C’est cette profonde divergence au niveau de la valeur accordée à la vie
terrestre qui fait toute la différence avec l’Occident, tant au niveau de la
perception du sens de la vie que du comportement dans la gestion de la chose
publique. « L’Occident, du fait des fondements de sa pensée, sacralise la vie
matérielle et y reste attaché, quel que soit le prix, souligne cheikh Kassem. Il
n’est donc pas en mesure d’assimiler le sens du martyre. Il est normal que les
Occidentaux ne comprennent pas le sens spirituel de l’orientation de l’islam car
une telle compréhension ne peut se limiter à la seule perception rationnelle.
Elle nécessite de côtoyer de près et d’observer les étapes de la vie des
moudjahidine, ainsi que les réalités de la société islamique en général. »4
La résistance menée par les jeunes de la mouvance intégriste chiite avait ainsi
pour élément moteur un cadre socioculturel qui correspond à l’inconscient
populaire chiite et qui explique le succès aussi bien de la Résistance que du
Hezbollah. Le précédent du Vietnam, en tant que soulèvement populaire contre
l’occupant, a constitué sur ce plan un exemple à suivre5.
Les grandes orientations politiques
C’est donc sur la base de cette sacralisation de la notion de martyre que les
combattants de la mouvance intégriste chiite ont axé leurs opérations, dès 1982,
contre les forces israéliennes. La priorité étant accordée à la résistance,
l’élaboration du projet politique portant sur le contexte libanais sera reléguée
au second plan, d’autant que face à l’occupation israélienne d’une large partie
du territoire libanais, le Hezbollah adoptera, jusqu’au milieu des années 80, un
profil bas. Il ne sortira pratiquement de la clandestinité qu’à la suite du
soulèvement du 6 février 1984 mené par les milices du mouvement Amal et du Parti
socialiste progressiste de Walid Joumblatt à Beyrouth-Ouest contre le pouvoir du
président Amine Gemayel. Ce soulèvement permettra au Hezbollah d’installer
toutes ses institutions et son quartier général dans la banlieue sud de
Beyrouth6.
Ce n’est qu’en février 1985 que le Hezbollah rendra public son projet politique
sous la forme d’un « Appel aux déshérités ». Ce document définit les grandes
orientations du parti, tant sur le plan idéologique et doctrinal, qu’au niveau
de la conjoncture politique libanaise ou la position à l’égard d’Israël et des
États-Unis. Les dirigeants actuels du Hezbollah soulignent que ce texte est
aujourd’hui dépassé et obsolète du fait qu’il avait été élaboré à la lumière de
la conjoncture du moment. C’est sans doute sur les plans doctrinal et
idéologique que le document de 1985 revêt encore un certain intérêt, notamment
en ce qui concerne la question de l’établissement d’un État islamique. Le texte
établit clairement une distinction entre « la position doctrinale et le volet
pratique ». Sur le plan du principe, le Hezbollah se déclare favorable à
l’établissement d’un État islamique, mais précise tout de suite que, dans la
pratique, la réalisation d’un tel projet doit se faire sur base d’un choix libre
de la part de la population et il ne saurait donc être imposé par une quelconque
partie.
Cette option est reprise, d’une manière encore plus soutenue par le directoire
actuel du parti, qui affirme qu’il n’est nullement dans l’intention du Hezbollah
d’établir une République islamique au Liban, même s’il reste attaché à l’islam
comme fondement de son action et de sa pensée. Il soutient que, tenant compte
des réalités libanaises, son but est de contribuer à la consolidation d’un
pouvoir pluriconfessionnel, garantissant une participation équitable de toutes
les communautés à la gestion de la chose publique.
Concrètement, les responsables du parti se prononcent pour le maintien du
système politique tel qu’il est actuellement pratiqué, sur la base d’une juste
participation de toutes les communautés au pouvoir7. D’où la décision prise par
le parti en 1992 de participer aux élections législatives, et donc d’accepter
d’être partie prenante au système multiconfessionnel libanais, en dépit du fait
que sur le plan dogmatique, une telle participation a suscité de sérieuses
réserves au niveau de certains cadres dirigeants. Les responsables du Hezbollah
précisent à cet égard que leur soutien au principe d’un pouvoir
pluriconfessionnel, au détriment du projet de République islamique, est dû à
leur volonté de présenter au monde la formule libanaise comme un exemple réussi
de convivialité entre diverses communautés, laquelle est l’antithèse du projet
sioniste basé sur l’édification d’un État au service d’une seule communauté. Il
s’agit donc pour le Hezbollah d’opposer à la formule sioniste la formule
libanaise fondée sur le pluralisme communautaire, le respect de la diversité et
la sauvegarde des libertés. Se montrant pragmatique à ce sujet, le directoire du
parti prône une application stricte de l’accord de Taëf, après élaboration d’une
nouvelle loi électorale qui maintiendrait les équilibres communautaires
actuels8.
L’hostilité à l’égard de l’entité israélienne sous-tend, par ailleurs,
constamment le discours politique du Hezbollah. Le directoire du parti va même
jusqu’à tourner en dérision les appels au pragmatisme pour trouver une solution
susceptible de mettre un terme au conflit avec Israël. Et dans ce cadre, les
responsables du parti ne cachent pas leur solidarité totale avec la lutte menée
par le peule palestinien, sans aller toutefois jusqu’à évoquer explicitement une
aide ou un soutien concret à la population de Cisjordanie et Gaza. Tout en
affirmant rejeter le terrorisme aveugle, ils refusent de condamner les
opérations-suicide menées par les Palestiniens.
Quant à la position vis-à-vis de l’Occident, les responsables du Hezbollah se
défendent d’avoir une attitude de principe hostile à la civilisation occidentale,
affirmant qu’ils s’opposent non pas aux pays occidentaux en tant quel tels, mais
plutôt au « comportement colonialiste » de certains États occidentaux.
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Louise Arbour appelle à protéger les
civils et évoque le principe de "proportionnalité"
par NATALIE NOUGAYREDE,
publié dans le Monde du 22 juillet 2006
Le Haut commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Louise Arbour, lance
un appel à toutes les parties au conflit en cours au Liban pour qu'elles
respectent le droit de la guerre et le "principe de proportionnalité" dans les
opérations militaires. Dans un entretien accordé jeudi 20 juillet au Monde, Mme
Arbour s'est élevée contre le fait que "des civils se retrouvent être des cibles
dans ce conflit", notamment lors de "bombardements sans discrimination de
villes". La juriste canadienne précise, au sujet du "principe de
proportionnalité", que le droit de la guerre autorise des destructions d'objets
de nature civile, tels des ponts, mais à la condition que ceux-ci revêtent une
dimension militaire indiscutable, et que cela n'affecte pas des besoins
importants de la population. Ce qui n'est pas le cas, ajoute-t-elle, "dans le
cas de destructions de centrales électriques, par exemple".
Mme Arbour souligne que son but n'est pas de porter des accusations, mais
de mettre en garde les belligérants. Elle dit ne pas être en mesure de conclure
formellement à une violation du principe de proportionnalité, dans la guerre au
Liban, car cela "suppose de disposer de toutes les informations et de pouvoir
formuler une appréciation précise". Le Haut Commissaire de l'ONU pour les droits
de l'homme rappelle que, dans la guerre au Liban, comme dans tout conflit, la
"responsabilité de ceux qui commandent" les opérations et attaques armées "peut
être engagée, au regard du droit pénal international". Elle rappelle
l'existence, à cet égard, de la Cour pénale internationale (CPI), qui peut juger
de crimes de guerre.
"Une certaine gravité atteinte"
Soulignant que le droit pénal international a pour vocation d'être non
seulement punitif, mais "surtout dissuasif", Mme Arbour espère que ses
déclarations auront "un certain effet" sur les belligérants. Elle rappelle qu'un
principe d' "imputabilité" peut s'appliquer. Autrement dit : de part et d'autre,
les responsables des opérations armées pourraient avoir, un jour, à rendre des
comptes. Au Liban, "des violations du droit de la guerre pourraient engager des
responsabilités pénales", insiste Louise Arbour. Si Mme Arbour a décidé de
s'exprimer ainsi, au neuvième jour du conflit, c'est parce que les opérations
militaires sont allées s'intensifiant. "Il est devenu clair que les choses ne
s'arrêtaient pas, et qu'une certaine gravité et amplitude étaient atteintes"
dans la guerre, dit-elle, dénonçant par ailleurs les obstacles créés, sur le
terrain, au travail des organisations humanitaires, en l'absence d'un
cessez-le-feu.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), gardien des conventions
de Genève, a fait part, mercredi, d'inquiétudes du même ordre. Au Liban, "le
nombre élevé de victimes civiles et l'étendue des dégâts subis par des
infrastructures publiques posent de sérieuses questions au regard du respect du
principe de proportionnalité dans la conduite des hostilités", a-t-il déclaré.
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Proche-Orient : le cri d'alarme du
premier ministre libanais Fouad Siniora
Propos recueillis par GEORGES MALBRUNOT,
publiés dans le Figaro le 20 juillet 2006
Dans un entretien au "Figaro", le premier ministre libanais demande un
cessez-le-feu immédiat, la création d'un couloir humanitaire et des négociations
globales. Ancien proche de Rafik Hariri, Fouad Siniora, de confession sunnite,
est chef du gouvernement libanais depuis un an.
* Quelle est la priorité du gouvernement libanais, après plus d'une
semaine de combats ?
J'appelle Israël et le Hezbollah à un cessez-le-feu immédiat et général.
C'est le plus urgent pour permettre la création d'un couloir humanitaire afin
d'acheminer des médicaments et de la nourriture aux populations du Liban-Sud,
qui sont coupées du reste du pays. J'approuve les efforts en ce domaine du
président Chirac. Ensuite, le gouvernement libanais traitera les problèmes qui
ont conduit à cette situation catastrophique, en particulier la question des
deux soldats israéliens aux mains du Hezbollah et des détenus libanais
emprisonnés en Israël.
* N'êtes-vous pas déçu par la faiblesse des réactions de la communauté
internationale ?
J'implore la communauté internationale de regarder avec justesse ce qui
est en train de se passer. Il faut absolument stopper les tueries contre nos
femmes et nos enfants. Depuis une semaine, Israël a ouvert sur le Liban les
portes à la folie et nous mène en enfer. Par une réaction complètement
disproportionnée, ils ont détruit le Liban, découpant le pays en morceaux. Ils
brisent les ponts, les infrastructures. Ils commettent des crimes inimaginables.
Israël se dit souvent victime du terrorisme. Mais depuis une semaine, c'est
Israël qui pratique un terrorisme d'Etat. Pourquoi détruire une usine de lait ?
Pourquoi attaquer un convoi de médicaments offerts par les Emirats Arabes unis
et Koweït ? Pourquoi s'en prendre à deux ambulances ? L'armée israélienne
terrorise tout un peuple. Je vous le répète, nous voulons un cessez-le-feu
immédiat, nous asseoir autour de la table avec les Nations unies pour régler
l'ensemble des problèmes qui nous opposent à Israël : les prisonniers,
l'occupation des fermes de Chebaa, le désarmement du Hezbollah et le déploiement
de l'armée au sud du Liban. Tout cela doit faire partie d'un paquet global de
mesures pour en finir une fois pour toutes avec la violence entre le Liban et
Israël.
* Israël espère, en visant des infrastructures, que les Libanais se
retourneront contre le Hezbollah.
Les Israéliens sont déjà intervenus à de nombreuses reprises au Liban.
Cette fois encore, ils vont obtenir le contraire de ce qu'ils recherchent :
leurs tueries créent toujours plus de désir de vengeance et de haine contre eux,
toujours plus d'actes désespérés. Quand ils sont venus en 1982 pour en finir
avec l'OLP et Arafat, qu'est-il arrivé ? Arafat a quitté Beyrouth. Mais les
Israéliens ont créé le Hezbollah. Ne croyez pas que leur offensive va détruire
le Hezbollah comme ils le prétendent. Au contraire, cela ne va que le renforcer.
Les Israéliens n'infligent pratiquement aucun dommage au Hezbollah. Le monde
doit le savoir. Ils infligent des pertes aux civils libanais.
* Comment assurer le désarmement du Hezbollah ?
Pour nous, la question essentielle est un retrait israélien de nos
territoires occupés, c'est-à-dire les fermes de Chebaa, ce n'est pas le
désarmement du Hezbollah. Ensuite, le gouvernement libanais assurera sa
souveraineté sur tout le pays. Il aura à ce moment-là un réel monopole sur les
armes dans ce pays, mais pas avant.
* Avez-vous demandé au Hezbollah de vous remettre les deux soldats
israéliens ?
Non. J'ai discuté de cette question avec la délégation des Nations unies
qui est venue au Liban à la demande du secrétaire général, Kofi Annan. Mais
depuis qu'ils ont quitté Beyrouth, je n'ai pas eu d'éléments nouveaux concernant
les idées développées avec cette délégation.
* Le Hezbollah prétend qu'il coordonne sa résistance avec le gouvernement
libanais.
Le Hezbollah peut dire ce qu'il veut, accuser qui il veut. Une chose est
sûre : ils nous ont mis dans le bourbier. Ils ne nous ont pas informés de leur
action. Nous nous désolidarisons complètement de cette prise d'otages.
* Après l'ONU, appelez-vous au déploiement d'une force internationale de
stabilisation au Liban-Sud ?
C'est une idée qui a été avancée, mais je n'ai rien eu de concret entre
les mains. Nous ne sommes prêts à l'envisager que dans le cadre d'un paquet
global de mesures pour régler la crise. Une force internationale seule pour
créer une zone tampon entre Israël et le Liban ne résoudra pas durablement la
crise. Nous réclamons un traitement global des problèmes qui mène à
l'application de l'armistice de 1949 entre le Liban et Israël.
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Mohammad Fneich : L’objectif
d’Israël est de modifier le statu quo dans la région
Propos recueillis par JEANINE JALKH,
publiés dans l'Orient-le Jour le 22 juillet 2006
C’était la dixième tentative de capture de soldats israéliens à la
frontière, affirme le ministre de l’Energie et de l’Eau
Loin du bruit de la guerre, des gémissements des blessés et des
lamentations des familles démembrées, le ministre Mohammad Fneich a tenu à
évoquer, sereinement, les différents enjeux qui ont mis, en quelques jours, le
pays à feu et à sang. Siégeant dans son ministère où l’on parle peu des
problèmes de coupures d’électricité, mais plutôt de "cette sale guerre menée par
l’occupant contre la population civile", le ministre du Hezbollah explique
comment son parti a été acculé à s’engager "dans une bataille qu’il n’avait pas
prévue". Le seul objectif du parti, dit-il, était de poursuivre "les opérations
de résistance habituelles" en vue de libérer des prisonniers qui croupissent
dans les geôles israéliennes depuis plusieurs années. "Contrairement aux
arguments avancés par certains, affirme M. Fneich, c’est Israël, et non le
Hezbollah, qui a décidé du “timing” de cette bataille, d’autant que l’Etat
hébreu cherche à anéantir le Hezbollah pour modifier le statu quo dans la
région."
Selon M. Fneich, le parti chiite n’avait aucunement l’intention d’entrer
dans cette guerre, et tous ceux qui cherchent à faire assumer au Hezbollah la
responsabilité de l’escalade "sont en train de légitimer l’agression israélienne
contre le Liban". A ceux qui considèrent que l’opération du kidnapping des deux
soldats a été commanditée par l’Iran et la Syrie, le ministre répond : "Personne
n’est jamais mis au courant des décisions (militaires) prises au sein du parti.
D’ailleurs, quel est l’intérêt de la Syrie dans cette affaire ? Damas ne
craint-il pas lui-même une extension du conflit ?" s’interroge le ministre.
Quant à la question du timing de l’enlèvement, elle n’a aucune portée
stratégique par rapport au parti, souligne-t-il en substance. M. Fneich précise
à ce propos que cette opération s’inscrit dans la lignée des multiples
interventions militaires de la Résistance. "C’était la dixième tentative de
capture de soldats israéliens à la frontière, dont la fameuse opération menée
dans la région de Ghajar il y a quelques mois. Certaines des tentatives ont
échoué, d’autres n’ont jamais été rendues publiques", dit-il.
Et le ministre de réitérer ce que plusieurs responsables et observateurs
avaient déjà affirmé, à savoir que "l’ampleur et la violence de l’agression ne
peuvent en aucun cas s’expliquer par le seul rapt des deux militaires
israéliens". "Elles s’inscrivent plutôt dans le cadre d’une action préméditée
qui a pour objectif d’anéantir le rôle du Hezbollah (...) C’est plutôt Israël
qui a décidé du timing", ajoute-t-il, précisant que l’Etat hébreu attendait la
moindre excuse pour lancer une opération de grande envergure contre le pays.
Preuve en est, dit-il, la déclaration faite par l’Etat israélien qui a
officiellement reconnu, jeudi, avoir préparé l’opération contre le Hezbollah "il
y a longtemps, bien avant la capture des deux militaires, dans l’objectif de
modifier le statu quo dans la région". Cette déclaration peut s’expliquer par le
seul fait qu’Israël ne peut plus légitimer aux yeux de l’opinion internationale
cette agression disproportionnée contre le Liban en avançant l’argument des deux
soldats, affirme M. Fneich.
Cependant, et quels que soient les motifs avancés par l’une ou l’autre
partie, les conséquences sur le terrain sont on ne peut plus dramatiques,
puisque c’est la population civile qui paye dans sa chair le lourd tribut d’une
décision prise par deux entités militaires. Les leaders du Hezbollah sont-ils
conscients de la lourde responsabilité qui leur incombe ? "C’est l’agresseur qui
doit assumer cette responsabilité, ainsi que tous les Etats qui le soutiennent
et assistent passivement à ce qui se déroule sur notre territoire, tout en
s’abstenant de blâmer, voire de stopper l’Etat hébreu, affirme M. Fneich. Ce
dernier dispose comme il veut de notre territoire et foule aux pieds toutes les
règles et lignes rouges. Au lieu d’affronter directement le Hezbollah, l’armée
israélienne mène une sale guerre contre la population civile", dit-il. "Certes,
insiste le ministre, nous sommes conscients et sensibles à la souffrance du
peuple libanais. En même temps, nous leur disons que cette affliction ne devrait
pas nous faire oublier notre rejet absolu de toute atteinte à notre dignité.
Comment peut-on tolérer que des crimes aussi barbares soient commis à l’encontre
des civils ?" s’indigne M. Fneich.
Il n’en demeure pas moins que c’est le Hezbollah qui a provoqué le
conflit. Cela en valait-il vraiment la peine ? Selon lui, le parti chiite ne
s’attendait pas du tout à une telle réaction de la part d’Israël. "Le Hezbollah
n’avait d’autre intention que celle de libérer les prisonniers qui croupissent
dans les geôles israéliennes depuis des années", précise-t-il, en rappelant que
le parti avait, à plusieurs reprises, laissé la voie ouverte à une solution
pacifique par le biais de la diplomatie, des tentatives que l’Etat hébreu a
rejetées à chaque fois. Le parti chiite ne peut-il pas tout simplement libérer
les deux prisonniers pour mettre un terme à ce conflit ? "Nous n’en sommes plus
au stade des deux prisonniers. Si c’était le cas, on aurait pu y remédier
facilement et rapidement en procédant à un échange de détenus de part et
d’autre, comme l’a proposé le Hezbollah. Cette question est largement dépassée
maintenant, notamment à la lumière des destructions massives et des massacres
des civils."
Quelle solution propose donc le Hezbollah ? "Il s’agit d’abord d’arrêter
les hostilités puis de procéder à l’échange des prisonniers. Il faudra également
s’assurer du respect des principes prévus par les accords d’avril 96 (notamment
celui d’épargner la population civile)", propose le ministre du Hezbollah. "Nous
n’avons aucun problème à nous engager dans la bataille militaire avec les forces
d’occupation. Ces dernières doivent cependant respecter le principe prévoyant la
protection des civils", conclut M. Fneich.
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L’ambassadeur de Suisse
François Barras : Nous sommes aux côtés du Liban et nous ne l’abandonnerons pas
Propos recueillis par LELIA MEZHER,
publiés dans l'Orient-le Jour le 22 juillet 2006
L’équipe du Corps suisse d’aide humanitaire (CSAH), arrivée depuis
mercredi à Beyrouth, s’est réunie hier avec le Premier ministre Fouad Siniora
afin de dresser un bilan provisoire des besoins des personnes déplacées. Le CSAH
fait partie de la Direction du développement et de la coopération, un service de
l’Etat suisse dont le rôle est d’aider les victimes de catastrophes, naturelles
ou autres, à travers le monde. Contacté par L’Orient-Le Jour, l’ambassadeur de
Suisse, François Barras, a tenu à insister sur le fait que "la Suisse
n’abandonne pas le Liban et veut rester à ses côtés en ces temps difficiles, car
la Suisse est une grande amie du pays du Cèdre, et la communauté libanaise de
Suisse a toujours beaucoup donné à la Confédération helvétique". Et M. Barras de
poursuivre : "De plus, la Suisse a toujours eu dans le cœur des Libanais une
place très spéciale."
Que la Suisse assure aux populations déplacées une aide humanitaire de
base n’est qu’un juste retour des choses, selon M. Barras. Un triple couloir
humanitaire serait ainsi mis en place d’ici peu, même s’il n’est pas toujours
facile d’obtenir la confiance des belligérants. Des négociations sont
actuellement en cours avec les deux parties au conflit afin de garantir la
sécurité et le bon fonctionnement de ces couloirs. Trois couloirs donc, le
premier reliant Beyrouth au Liban-Sud, le second assurant le lien entre la
capitale et Chypre et le troisième, enfin, permettant d’établir une connexion
entre le sud du pays et Chypre. Ces corridors permettront, d’une part,
l’évacuation prioritaire des blessés et des civils fuyant les zones de combat ;
ils permettront, d’autre part, à la population d’avoir accès aux produits de
première nécessité.
Le caza de Baabda prioritaire
Actuellement en train d’évaluer l’ampleur des aides à assurer ainsi que
leur nature, le CSAH compte concentrer son aide dans un premier temps sur le
caza de Baabda. Interrogé sur la nature de l’aide que la Suisse entend prodiguer
aux populations, M. Barras a affirmé que "des médicaments, des denrées de
première nécessité, ainsi que des tentes et des sacs à couchage" seront assurés
à tous ceux qui en ont besoin. Un point de travail sera donc installé dans cette
région afin de venir en aide aux populations qui ont dû fuir la banlieue sud de
Beyrouth. A cet égard, M. Barras a souligné qu’une première livraison de
médicaments a déjà été effectuée dans cette région. Comment en outre garantir
que l’aide arrive bel et bien, et uniquement aux personnes qui en ont besoin?
L’ambassadeur de Suisse explique qu’il existe un système, un genre de mode de
fonctionnement qui est appliqué à chaque fois que le CSAH apporte son soutien
aux victimes de catastrophes. En effet, "l’élément primordial dans ce cas est la
centralisation de l’aide dans un entrepôt unique. Seuls quelques fournisseurs
seront autorisés à distribuer cette aide, et dans ce cadre, nous travaillons
étroitement avec la Croix Rouge libanaise ainsi qu’avec le ministère de la
Santé", indique M. Barras. Il ajoute : "C’est l’expérience du terrain qui nous a
poussés à adopter ce système qui nous permet, dans la mesure du possible, de
faire parvenir l’aide entre de bonnes mains."
Respect du droit humanitaire
"La Suisse est dépositaire des conventions de Genève et attache ainsi une
importance primordiale à leur respect par les deux parties au conflit", selon
les propres dires de M. Barras. Les quatre conventions de Genève garantissent en
effet la sécurité et la protection des personnes ne prenant pas part aux
hostilités. Font partie de cette catégorie les civils, les membres du personnel
sanitaire ou d’organisations non gouvernementales, les personnes ayant abandonné
le combat (combattants blessés, malades ou naufragés, prisonniers de guerre).
"La Suisse tient à ce que les deux parties respectent leurs obligations,
conformément au droit international humanitaire", précise à cet égard M. Barras.
A noter que ces obligations ne sont soumises à aucune condition de réciprocité.
Autre obligation à laquelle les parties aux combats doivent se conformer : le
principe de proportionnalité. Ce principe suppose une riposte proportionnelle à
l’attaque subie. Il prohibe donc toute riposte intempestive susceptible de
mettre en péril la vie de civils.
Une aide globale et durable
Interrogé en outre sur le sort des ressortissants suisses, François
Barras a mis en exergue la volonté de la plupart des ressortissants suisses de
rester au Liban malgré la situation délicate et dangereuse qu’il traverse
actuellement. "Mis à part les Suisses qui résident dans la banlieue sud de
Beyrouth et ceux qui habitent Baalbek ou au Liban-Sud, les ressortissants
suisses ont choisi de se solidariser avec le Liban, précise-t-il. Il ne s’agit
pas d’une opération d’évacuation à proprement parler, mais bien d’un choix
laissé à l’appréciation de chaque ressortissant. Une simple possibilité de
partir." La phase de rapatriement étant pratiquement terminée, l’aide
humanitaire peut être acheminée.
M. Barras poursuit : "Une fois la guerre terminée, une phase d’aide à la
reconstruction est prévue, mais il est prématuré d’en parler aujourd’hui."
L’ambassadeur a par ailleurs indiqué que toutes les instances internationales
œuvrent en ce moment et de manière très active pour parvenir à une solution
pacifique qui puisse mettre un terme à "une escalade dangereuse de la violence,
tant sur le plan local que sur le plan régional". M. Barras a notamment mis
l’accent sur l’urgence d’un cessez-le-feu, "car la poursuite des hostilités ne
fera qu’aggraver la crise humanitaire déjà grave que traverse le Liban ; plus
les infrastructures seront touchées, plus la crise ira en s’aggravant". M.
Barras a enfin souhaité un déploiement rapide d’une force de stabilisation, en
assurant une nouvelle fois que la Suisse "se tient aux côtés du Liban pour
l’aider à surmonter cette tragédie".
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Le Liban et nous
par DANIEL RONDEAU, écrivain et journaliste,
publié dans le Monde du 27 juillet 2006
Fallait-il encore une fois massacrer le Liban, déjà gangrené dans les
années 1970 par l'hyper-présence de réfugiés palestiniens, sacrifié hier sur
l'autel d'une alliance contre nature de l'Amérique avec les terroristes syriens
et aujourd'hui livré aux dévastations d'une force brutale au nom de la sécurité
d'Israël ? L'Etat d'Israël a le droit de se défendre, et, si ses dirigeants nous
ont habitués à entretenir des relations rudes, souvent violentes, avec leurs
voisins, c'est parce qu'ils ont été habitués à vivre sous la constante menace
des armes de tous ceux qui, depuis cinquante-huit ans, ne pensent qu'à rayer ce
pays de la carte du monde. Pourtant ce qui se passe aujourd'hui concerne autant
la mort du Liban que la survie d'Israël. Des ponts, des routes, mais aussi des
usines de lait, des élevages de poulets, des immeubles de civils, des convois de
réfugiés, des églises, sont la cible des avions israéliens. Le peuple libanais
pensait enfin sortir de son malheur. En moins d'une semaine, Israël l'a renvoyé
à l'exode, à la paupérisation, à la solitude et à la mort. Quelle victoire !
Les dirigeants d'Israël reprochent aux Libanais de ne pas avoir désarmé
la milice du Hezbollah. Le président français a d'ailleurs exprimé les mêmes
remontrances. Pourquoi feindre de croire que cet Etat en charpie avait la
capacité de désarmer une milice soutenue par deux puissances majeures de la
région? Les Libanais s'étaient engagés dans un dialogue national dont la
communauté chiite était partie prenante, et de nombreux Libanais, de toutes
confessions, souhaitaient le désarmement du Hezbollah. Il fallait accompagner ce
dialogue. Seules les puissances internationales pouvaient conduire cette
nécessaire entreprise à son terme. Or au Moyen-Orient, depuis l'invasion de
l'Irak, les militaires ont remplacé les diplomates dans l'administration
américaine. Plus de diplomatie européenne non plus, par faute d'Europe (c'est
aussi l'une des conséquences du non français au référendum). La mansuétude des
autorités libanaises à l'égard du Hezbollah ne peut s'interpréter qu'au regard
de cette absence.
L'essor du Hezbollah n'est d'ailleurs pas seulement le résultat du
soutien constant de l'Iran et de la Syrie. Le Hezbollah s'est développé dans les
régions les plus pauvres du Liban, là où les gens manquaient du minimum vital,
quand la communauté internationale a abandonné ce pays aux mains d'Hafez Al-Assad.
Les chiites aussi ont le droit de vivre. C'est sur la faillite des démocraties
que l'organisation terroriste a prospéré. Cela ne signifie d'ailleurs pas que
tous les chiites sont ralliés au Hezbollah. Chez les chiites, comme les autres
Libanais, comme chez les Palestiniens ou les Israéliens, nombreux sont ceux qui
se disent prêts à épouser la cause de la paix.
Pour une majorité de Libanais, Hassan Nasrallah s'est d'ailleurs mis au
ban de la communauté libanaise en enlevant de façon irresponsable des militaires
israéliens. Israël a pris en otage l'ensemble du peuple libanais, qui reste
hanté par le cauchemar de la guerre civile. La tempête aveugle déclenchée par
Israël n'a réussi qu'à susciter un mouvement de solidarité patriotique dans un
pays soumis à des bombardements aussi meurtriers que désinvoltes, et à nourrir
la haine dans le monde entier. Rien ne sera fondé sur la haine. C'est pourquoi
il y a quelque chose de suicidaire pour Israël dans cette politique. Le
Moyen-Orient, plus que jamais, et Israël aussi, ont besoin du Liban. C'est un
pays arabe où a duré une présence chrétienne aussi ancienne que le
christianisme. Au Liban plus qu'ailleurs, il reste possible de faire reculer ce
que Fernand Braudel appelait "des haines de civilisation", celles qui menacent
aujourd'hui le monde entier.
Il y a moins d'un mois, des chanteurs et des musiciens, israéliens et
palestiniens, étaient venus chanter dans quinze villes de France, d'une seule
voix et main dans la main. A Nancy, à Marseille, à Rennes, à Dunkerque, à Paris,
leurs chants, leur présence témoignaient d'une volonté commune de paix. L'un
d'eux, Habib Awwad, chanteur palestinien du groupe Karawan d'Ibillin (en
Galilée), un touche-à-tout souriant et père de quatre enfants, a été tué
dimanche par une roquette tirée du Liban sud. L'une de ses amies de tournée,
Limor, une jolie chanteuse israélienne, a dit que cette mort la renvoyait dans
le pire de ses cauchemars. Ce cauchemar est celui de tous les peuples de cette
région ; la paix ne se divisera pas. Le désarmement du Hezbollah va devenir plus
que jamais à l'ordre du jour. Ne nous trompons pas. Chacun sait bien que seule
la paix entre Israël et les Palestiniens désarmera les folies et les haines, au
Liban et ailleurs.
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Le paravent humanitaire
par RICHARD WERLY,
publié dans le Temps le 27 juillet 2006
Les caméras étaient au rendez-vous : premier avion à se poser mercredi
sur la piste endommagée de l'aéroport de Beyrouth depuis le début des frappes
israéliennes, l'appareil militaire jordanien, rempli de vivres et de
médicaments, a fait le tour du monde. Qu'importe l'échec de la conférence de
Rome, incapable de dégager plus que des vœux pieux d'intervention multinationale
? Puisque l'aide est au rendez-vous, semblent dire les images, les Libanais
peuvent supporter la poursuite des hostilités. Le problème est que ces images-là
sont mensongères. L'urgence au Liban n'est pas de décharger des colis. Il y a
suffisamment de stocks dans le pays pour nourrir les déplacés et assister les
victimes, y compris sur le plan médical. L'urgence, c'est l'accès. Or, dans la
région de Tyr, les civils bloqués sous les bombes demeurent scandaleusement hors
d'atteinte.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se retrouve, dans ce
contexte, dans une position aussi décisive que problématique. Une de ses équipes
a pu se rendre le plus loin dans la zone de combats dimanche. Mais depuis, aucun
convoi d'assistance n'a pu rejoindre les villages assiégés. Or, tout le monde
sait que dans cette guerre la garantie de sécurité ne peut pas être obtenue sans
l'accord de l'armée israélienne. En décidant de différer ses convois et en ne
forçant pas la porte des localités pilonnées par Tsahal, le CICR laisse le piège
des hostilités se refermer. Tandis que les images de déchargement d'aide à
Beyrouth occupent les écrans, l'institution basée à Genève donne l'impression
que l'aide arrive, alors qu'elle n'est pas là. Quid des hôpitaux des villages
assiégés ? Quid des blessés restés dans les carcasses de leurs voitures sur le
bord des routes aux environs de Tyr ?
Le paravent humanitaire libanais a le goût de la défaite. Le CICR, sous
d'autres théâtres, notamment l'Irak, nous avait habitués à de l'audace et du
courage. Il doit à nouveau en faire preuve. Car l'ironie du calendrier rend en
plus cette situation détestable. Voilà quelques semaines, le mouvement de la
Croix-Rouge et du Croissant-Rouge s'est doté d'un nouvel emblème, le cristal,
pour accueillir le Magen David Adom de l'Etat hébreu. L'épreuve du feu, au
Sud-Liban, montre à quoi cela a servi...
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Un cri pour le Liban - La
courbature
par WAJDI MOUAWAD, auteur et metteur en scène,
publié dans le Devoir le 25 juillet 2006
C'est la soudaineté de tout cela qui fait mal. Tout à coup. D'un coup.
Voilà. Ponts détruits, jambes arrachées, enfances perdues et routes cassées,
immeubles écroulés, avions dans le ciel et hurlements. Sifflement et explosion
et prière désespérée, souffle trop court, coeur qui bat, grande frayeur, sommeil
brûlé et ironie et honte et humiliation. Cela tout à coup. Soudaineté. Comme un
couteau planté dans la gorge. Des jours déjà que je marche sans faire attention
à rien, à la recherche des mots. Ne pas croire ceux qui disent "qu'il n'y a pas
assez de mots pour dire...", au contraire, s'entêter. Quand on n'a plus rien, il
nous reste encore des mots ; si on commence à dire qu'il n'y a plus de mots,
alors vraiment tout est perdu, noirceur noirceur. Chercher même si on ne trouve
pas. Regarder ses propres mains et y voir, là, dans ses propres veines et ses
propres muscles, là, dans ses bras, l'impossibilité d'agir. Constater et être
impitoyable envers soi et assumer : je ne peux rien faire, je ne sais pas quoi
faire, je me sens impuissant, je ne peux qu'attendre et suivre le décompte.
Zidane, il y a un siècle
Il y a bien longtemps de cela, un siècle je crois, je tremblais pour
Zidane et pour les Bleus. Je comptais, avec une jubilation profonde, les buts
marqués contre le Brésil, le Portugal, l'Espagne et puis voilà, fin de la Coupe
du monde, et tout à coup, un couteau planté dans la gorge ! Depuis je compte les
morts d'un match cauchemardesque où les règles s'inventent à mesure : 316 à 48,
addition infernale, sang pour sang sanglante sans remise possible ni banco ni go
à passer pour réclamer les vies, toutes les vies perdues, morts, ils sont morts
et les voilà, Moustafa, Samir, Sarah, Jean, Abdelwahab, Esther et Isaac et Naji
et Nayla et Walid devenus chiffres comme dans France 1 Brésil 0, catastrophe
catastrophe.
Est-ce qu'on peut pleurer des lettres ? Pleurer de tout son alphabet,
alphabet arabe, Aleph et Bé, Alpha et beta. Devenir poulpe et éclater en encre.
Pour inventer des mots ? Est-ce qu'on peut pleurer des lettres ? Alors marcher
dans la rue. Chercher des mots. Non pas pour apaiser, non pas pour consoler. Non
pas pour dire la situation de tout cela, non pas pour parler politique. Surtout
pour ne pas parler politique. Au contraire. Utiliser une langue incompréhensible
à la politique. Au journaliste qui me demandait quelle était ma position dans le
conflit du Moyen-Orient, je n'ai pas pu lui mentir, lui avouant que ma position
relevait d'une telle impossibilité que ce n'est plus une position, c'est une
courbature. Torticolis de tous les instants.
Et moi
Je n'ai pas de position, je n'ai pas de parti, je suis simplement
bouleversé car j'appartiens tout entier à cette violence. Je regarde la terre de
mon père et de ma mère et je me vois, moi : je pourrais tuer et je pourrais être
des deux côtés, des six côtés, des 20 côtés. Je pourrais envahir et je pourrais
terroriser. Je pourrais me défendre et je pourrais résister et comble de tout,
si j'étais l'un ou si j'étais l'autre, je saurais justifier chacun de mes
agissements et justifier l'injustice qui m'habite, je saurais trouver les mots
pour dire combien ils me massacrent, combien ils m'ôtent toute possibilité à
vivre.
Cette guerre, c'est moi, je suis cette guerre. C'est un "je" impersonnel
qui s'accorde à chaque personne et qui pourrait dire le contraire ? Pour chacun
le même désarroi. Je le sais. J'ai marché toute la nuit à la faveur d'une
ardente canicule pour tenter de trouver les mots, tous les mots, tenter de dire
ce qui ne peut pas être dit. Car comment dire l'abandon des hommes par les
hommes ? Ébranlés ébranlés. Nous sommes ébranlés car nous entendons la marche du
temps auquel nous appartenons et aujourd'hui, encore, l'hécatombe est sur nous.
De haine ou de folie
Il n'y a que ceux qui crient victoire à la mort de leurs ennemis qui
tirent joie et bonheur de ce désastre. Je ne serai pas l'un d'entre eux même si
tout concours à ce que je le sois. Alors justement, comment faire pour éviter le
piège ? Comment faire pour ne pas se mettre à faire de la politique et tomber
ainsi dans le discours qui nous mènera tout droit à la détestation ? Je voudrais
devenir fou pour pouvoir, non pas fuir la réalité mais, au contraire, me
réclamer tout entier à la poésie. Je voudrais déterrer les mots à défaut de
ressusciter les morts. Car ce n'est pas la destruction qui me terrorise, ce ne
sont pas même les invasions, non, car les gens de mon pays sont indésespérables
malgré tout leur désespoir et demain, j'en suis sûr, vous les verrez remettre
des vitres à leurs fenêtres, replanter des oliviers, et continuer, malgré la
peine effroyable, à sourire devant la beauté. Ils sont fiers. Ils sont grands.
Je les connais. Les routes sont détruites ? Elles seront reconstruites. Et les
enfants, morts dans le chagrin insupportable de leurs parents, naîtront encore.
Au moment où je vous écris, des gens, là-bas, font l'amour. Obstinément.
Je les connais. Ils ont trouvé une manière de gagner qui consiste à
perdre et cela dure depuis 7.000 ans. Ce n'est pas cela. L'armée qui envahit mon
pays devra un jour ou l'autre se retirer et ce jour-là sera un jour de fête, et
demain, vous verrez, d'autres guerres viendront prendre le relais de celle qui
nous occupe en ce moment, d'autres attentats, d'autres massacres, d'autres
ignominies, d'autres souffrances, renvoyant tout ce qui nous révolte aujourd'hui
à l'oubli. Non, ce qui est terrifiant, ce n'est pas la situation politique,
c'est la souricière dans laquelle la situation nous met tous et nous oblige,
face à l'impuissance à agir, à faire un choix insupportable : celui de la haine
ou celui de la folie.
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Liban : réflexions autour
d'une paix possible
par Georges Corm*
publié dans le Monde du 25 juillet 2006
* Georges Corm, ministre des finances du Liban de 1998 à
2000, est l'auteur du "Liban contemporain. Histoire et société", La Découverte,
2005
Les décideurs internationaux ont la mémoire courte. Face à l'immensité de
l'agression israélienne sur le Liban, ils pensent pouvoir l'exploiter pour
mettre en oeuvre par la force la fameuse résolution 1559 qui a rendu le Liban à
son statut d'Etat-tampon où se règlent en toute impunité les tensions et
conflits régionaux. En proposant la constitution d'une force multinationale à
déployer au sud du Liban, la "communauté internationale" risque fort de rééditer
les mêmes erreurs que celles qui ont présidé à la constitution de la Force
multinationale d'interposition (FM), créée à l'initiative de François Mitterrand
lors de l'invasion israélienne de l'été 1982. Cette force avait pour mission
d'assurer l'évacuation des combattants palestiniens hors du Liban, qualifiés
alors de "terroristes", et de protéger la population civile libanaise et
palestinienne martyrisée par l'invasion brutale de la moitié du Liban, et le
siège militaire de la partie de Beyrouth abritant le quartier général de l'OLP
et les bureaux de Yasser Arafat.
Comme aujourd'hui, où la totalité du Liban est prise en otage par l'armée
israélienne, la moitié du pays le fut alors, au cours de l'été 1982, par cette
même armée ; elle fut aussi, comme en cet été 2006, bombardée nuit et jour
durant deux mois et demi par terre, par mer et par air, sans distinction entre
objectifs militaires et civils ; l'eau et l'approvisionnement furent coupés aux
habitants de Beyrouth encerclée. Yasser Arafat était l'objet de poursuites
aériennes, tout comme l'est aujourd'hui le chef du Hezbollah. On peut se
rappeler aussi qu'en juillet 1982 les dirigeants du G7 étaient alors
somptueusement réunis au château de Versailles et trop occupés par leurs agapes
pour daigner même regarder mourir des milliers de Libanais et de Palestiniens
ensevelis sous les décombres de leurs habitations ou bombardés alors qu'ils
tentaient de fuir l'enfer. Il n'y avait pas à l'époque de Hezbollah, mais Israël
voulait éradiquer le "terrorisme" palestinien présent au Liban et imposer un
gouvernement libanais à sa solde qui termine le travail d'éradication violente.
La force d'interposition débarqua effectivement à Beyrouth, fit sortir
Yasser Arafat et deux ou trois mille combattants palestiniens, s'assura de
l'élection d'un président phalangiste (Bachir Gemayel) qui avait cautionné
l'invasion israélienne, puis rembarqua. La suite fut un désastre : assassinat du
président, entrée des troupes israéliennes à Beyrouth et massacres horribles de
femmes et d'enfants palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila. François
Mitterand obtint alors le retour précipité de la FM au Liban : cette dernière
assista sans broncher aux massacres du Chouf, encouragés par l'armée israélienne
(10.000 victimes, 200.000 chrétiens chassés par la force de cette région). Le
gouvernement américain, de son côté, encouragea le gouvernement phalangiste
libanais à signer un traité inégal avec Israël, résultat ? Des attentats
spectaculaires contre les troupes américaines et françaises (450 morts) en
octobre 1983 et une relance sanglante jusqu'en 1990 de la guerre entre milices
libanaises opposées.
Aussi bien le secrétaire général des Nations unies que la Maison Blanche
ou l'Elysée auraient donc intérêt à potasser leur dossier libanais avant de
proposer au gouvernement de Beyrouth de se lancer dans une nouvelle aventure.
Plutôt que de reproduire les mêmes graves erreurs faites par la Syrie dans sa
gestion du Liban, et donc de continuer de se mêler aussi imprudemment des
affaires intérieures libanaises sans prendre en compte toutes les sensibilités
politiques libanaises, les décideurs internationaux devraient d'abord établir un
diagnostic clair de la situation libanaise et régionale.
Si le Hezbollah n'est qu'une émanation de la volonté de Téhéran et de
Damas qui veut agresser indirectement et sans raison Israël, il est totalement
aberrant dans ce cas de laisser Israël s'en prendre au Liban. Il faudrait même
imposer à l'Etat hébreu qu'il s'engage à ne plus martyriser ainsi le Liban de
façon récurrente et inutilement cruelle. Militairement ou par la négociation,
qu'Israël ou les Etats-Unis règlent leur contentieux pour l'hégémonie régionale
avec ces deux pays, mais non avec le Liban. Si, en revanche, l'existence du
Hezbollah au Liban, comme celle du Hamas en Palestine, n'est pas une simple
création machiavélique de l'axe Téhéran-Damas, mais le résultat des quarante ans
d'occupation par Israël de la Cisjordanie, de Gaza, de la Palestine et du Golan
syrien, de vingt-deux ans d'occupation d'une large partie du sud du Liban par
Israël (1978-2000) - en infraction à toute légalité internationale -, alors le
traitement de la question libanaise doit être tout autre.
Le Liban, en effet, ne se gouverne pas par la force ni par la loi de la
majorité. Il est une démocratie consensuelle et fragile du fait justement du
contexte régional si agité, mais aussi de son régime communautaire. C'est
pourquoi les décideurs internationaux seraient avisés de ne pas tenter, comme en
1982, de forcer la main au gouvernement actuel. Celui-ci est d'autant plus
fragile qu'il n'est pas un gouvernement d'union nationale - même si le Hezbollah
y dispose de deux ministres - et qu'il résulte d'élections menées dans des
conditions peu reluisantes sous la houlette des Etats-Unis et de la France, sans
même une réforme de la loi électorale réclamée par l'ensemble des Libanais.
Il faudrait aussi reconnaître la complexité des forces politiques en
présence au Liban et ne pas présenter exclusivement le point de vue des factions
sympathisantes de la politique américaine ou française et hostiles au Hezbollah.
Il en est ainsi du général Aoun, de très loin le dirigeant le plus populaire de
la communauté maronite, mais qui a disparu des médias français pour avoir refusé
de se lancer dans des attitudes hostiles au Hezbollah afin de préserver l'unité
des rangs et la concorde communautaire au Liban. Il en est de même de Sélim El
Hoss, ancien premier ministre du Liban, issu de la communauté sunnite, et qui,
aux pires moments de la guerre passée (1975-1990), a su maintenir l'unité du
Liban ; celui-ci, depuis l'adoption de la résolution 1559, n'a pas arrêté de
recommander aux ambassadeurs occidentaux en poste à Beyrouth de faire appliquer
l'ensemble du droit onusien sur le conflit israélo-arabe afin que le Liban soit
en mesure de mettre en oeuvre toutes les dispositions de la résolution 1559 sans
provoquer de graves discordes internes.
La "communauté internationale" ne doit pas instrumentaliser encore plus
le Liban dans la partie de bras de fer régionale actuelle et ne doit pas tenter
d'exaspérer les divisions des Libanais ou d'ignorer les uns au profit des
autres. Ne serait-il pas temps d'ailleurs au Proche-Orient de tenter une autre
voie que la politique de la canonnière, qui a si bien caractérisé le XIXe siècle
colonial et qui renaît de ses cendres aujourd'hui de façon scandaleuse ?
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Trois questions à Arslan Sinno,
président du rassemblement des propriétaires de minoteries
par LILIANE MOKBEL,
publié dans l'Orient-le Jour le 22 juillet 2006
* Dans une économie de guerre, les minoteries sont dans le collimateur. Quel est
l’état des lieux, aujourd’hui ?
"En stockant le pain, un produit périssable, les Libanais sont en train
de priver d’autres citoyens de cette denrée alimentaire essentielle. Dans les
circonstances ordinaires, la quantité de blé disponible aujourd’hui dans les
silos et les minoteries, environ 60.000 tonnes, aurait suffi à la consommation
locale pour une période de deux mois. Le Liban consomme entre 1.000 et 1.200
tonnes de blé par jour. D’autres quantités de blé local (ou durum) sont
disponibles sur le marché, mais celles-ci ne sont pas adaptées à la production
du pain libanais. Au cas où il serait difficile d’importer du blé, les
boulangers devraient incorporer 30 % de blé local au mélange de la pâte destinée
à la fabrication du pain. En temps normal, cette proportion n’est que de 10 %.
La qualité du pain, cependant, ne serait pas la même que celle proposée en ce
moment. Si l’on décide d’importer aujourd’hui du blé, il faudrait au moins un
mois pour que ce blé soit livré aux minoteries. La procédure administrative à
l’Office national des céréales est lente."
* Auriez-vous une proposition à faire dans les circonstances difficiles que
traverse le pays ?
"Sur base des propos tenus par le président Jacques Chirac sur la
création de corridors humanitaires, j’ai proposé aux instances françaises
compétentes que certains dons français portent sur des quantités de blé. Le blé
français est de bonne qualité et il n’est pas commercialisé au Liban en raison
de son prix élevé. L’envoi de blé français au Liban serait une occasion pour
familiariser les minotiers et les boulangeries à ce genre de blé. Vu le blocus,
l’inspection des chargements de blé est relativement facile, aucune arme ou
autres outils ne pouvant y être cachés. De plus, le transport du blé se fait de
point à point, c’est-à-dire d’un port spécialisé vers un autre port spécialisé.
Je propose également que le ministère de l’Economie effectue un recensement
pointilleux des quantités de blé disponibles sur le marché pour être fixé sur
les proportions des ingrédients du mélange destiné à la fabrication du pain
libanais."
* Auriez-vous en tant que rassemblement de propriétaires de minoteries une
stratégie pour le transport et la distribution ? De même auriez-vous une
stratégie organisant la consommation ?
"On n’a pas de stratégie pour le transport et la distribution. On essaie
simplement de motiver les ouvriers et les chauffeurs de camion en relevant leurs
rémunérations. Le prix du mazout est par ailleurs passé de 600 à 900 dollars.
Les coûts de production additionnels se sont répercutés sur le prix du pain, qui
a augmenté d’une manière "raisonnable". En ce qui concerne l’organisation de la
consommation, c’est une question qui est du ressort du gouvernement. Un éventuel
rationnement du pain créerait un marché noir parallèle."
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François Heisbourg : le
Hezbollah, un ennemi difficile
Propos recueillis par BRUNO RIPOCHE,
publiés dans Ouest-France le 21 juillet 2006
Pour François Heisbourg, qui dirige la Fondation pour la recherche
stratégique, la milice chiite est aidée par l'Iran.
* En neuf jours de bombardements, la puissante armée d'Israël n'a pas
fait taire les artilleurs du Hezbollah. Pourquoi ?
Le Hezbollah est un ennemi difficile. On est sur un théâtre où les
distances sont très courtes. Haïfa n'est qu'à 30 km de la frontière libanaise.
Il ne suffit pas d'avoir des images satellite. Les lance-roquettes multiples du
Hezbollah sont mobiles, faciles à dissimuler sous les arbres et dans des
hangars. Des roquettes grandes comme l'avant-bras, cela se stocke dans des
parkings souterrains, des garages, par définition proches des maisons. Ce fort
recoupement entre l'espace d'opérations du Hezbollah et les lieux de vie des
Libanais explique le nombre de civils tués. Il ne l'excuse pas.
* Les généraux israéliens ont mobilisé des troupes sur la frontière.
Pourquoi semblent-ils hésiter à les utiliser ?
Techniquement, l'invasion terrestre serait sans doute plus efficace pour
faire cesser les tirs de roquettes. Mais elle a un coût politique important : en
termes de violation de souveraineté, d'occupation, d'ennemis que l'on se fait...
Le Hezbollah peut éventuellement reculer jusqu'en Syrie. De quoi faire hésiter
les Israéliens. Ce film, ils l'ont déjà joué, en version grand écran, lors de
l'invasion de 1982. Ils n'ont pas envie de le revoir.
* Qu'est-ce que ces dix jours d'affrontements enseignent sur le Hezbollah
?
Beaucoup de choses que l'on savait déjà : ce mouvement s'apprête tout de
même à fêter ses 25 ans ! Il y a de grandes constantes, comme le rôle majeur de
Damas et Téhéran, avec la présence ininterrompue de centaines de Gardiens de la
Révolution iraniens sur place. Ce rôle est confirmé : le Hezbollah a atteint
Haïfa, Nazareth et Afoula avec des roquettes de gros calibre d'une portée de 40
à 75 km, qu'il n'avait jamais utilisées auparavant. Ce que la milice chiite
appelle des Raad, ce sont des BM27 syriens et des Fajr iraniens.
* On a peine à croire que les Israéliens, maîtres du renseignement, aient
été pris au dépourvu...
On savait que le Hezbollah recevait de telles armes depuis cinq ans. Les
Israéliens n'ont pas mené de frappes préventives à la Bush. Ils ont attendu que
l'occasion se présente avec la capture de ces deux soldats... Il y a cependant
des surprises : le tir sur un navire israélien d'un missile C-802 Silkworm, de
conception chinoise, mais fabriqué en Iran, a provoqué stupeur et tremblement.
Personne n'imaginait ce genre d'engin entre les mains du Hezbollah. Ce missile
requiert une maintenance et un téléguidage. Le Hezbollah ne l'a sûrement pas
tiré tout seul !
* Quel intérêt le Hezbollah, l'Iran et la Syrie ont-ils à pareille
escalade ?
Le Hezbollah est probablement, comme le Hamas, sujet à des dissensions.
Rappelez-vous : le soldat israélien Gilad Shalit a été enlevé à Gaza au moment
où le Hamas local signait le "manifeste des prisonniers", une reconnaissance
indirecte d'Israël à laquelle est opposé Khaled Mechaal, le dirigeant du Hamas
en exil à Damas. De même, le Hezbollah est tiraillé : d'un côté, il est entré au
gouvernement, au Parlement, il a en main le sud du Liban ; de l'autre, il y a
les tenants du rôle révolutionnaire régional. Ceux-là, visiblement, ont eu le
dessus. L'Iran ? Il manifeste son pouvoir de nuisance. Même si l'on ne distingue
pas encore bien s'il s'agit de peser dans la négociation avec les Occidentaux
sur son programme nucléaire ou de la rendre impossible. La Syrie ? Je la crois
très embêtée, parce qu'elle risque les représailles d'Israël. Mais elle ne peut
pas le dire, parce que l'Iran est son seul allié et le Hezbollah son seul levier
face à Israël. Elle seule a intérêt à un cessez-le-feu rapide.
* Hormis la France, qui invoque la situation humanitaire, les Occidentaux
ne paraissent guère pressés...
La communauté internationale n'est, au fond, pas fâchée de voir le
Hezbollah désarmé - ce que réclamait la résolution 1559 de l'Onu -. On laisse
Israël faire le sale boulot tant qu'il ne commet pas une grosse bêtise, comme
une bombe sur un hôpital qui ferait 200 morts et mettrait le monde arabe dans la
rue.
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Lettres : Un gros recul international
par ANDRE MARCEAU,
publié dans le Devoir le 11 juillet 2006
Il n'y a rien de plus dangereux que de se mêler des chicanes des autres
quand on n'a pas de solution à proposer. Israël et les Etats-Unis sont en guerre
depuis des lustres, avec les Palestiniens et plusieurs pays arabes, et notre bon
M. Harper s'est permis une magistrale erreur en décidant d'impliquer la
fédération canadienne dans cette guerre. Des soldats d'ici qui guerroient sous
commandement américain et qui tuent des Afghans pour permettre aux Etats-Unis de
transférer leurs soldats en Irak. Alors que, depuis le Prix Nobel de M. Pearson
il y a 50 ans, notre fédération jouissait d'une réputation de complète
neutralité à travers le monde, et le passeport canadien nous évitait de passer
pour des "guerriers ennemis" dans les nombreux pays où nos voisins sont souvent
détestés. Finie aujourd'hui cette "assurance voyage", qui permettait aux
Québécois de se faire des amis partout au monde. On vit actuellement un énorme
recul international, et c'est la fédération canadienne qui nous y entraîne.
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Un cessez-le-feu unilatéral
d'Israël n'est pas la solution, dit MacKay
paru dans le Devoir le 24 juillet 2006
Il faut commencer à utiliser la diplomatie dans la recherche de la paix
au Liban, mais cela ne signifie pas un cessez-le-feu unilatéral d'Israël,
affirme le ministre canadien des Affaires étrangères Peter MacKay. Le ministre,
qui s'exprimait hier sur les ondes de CTV, a refusé de joindre la voix du Canada
à celles d'autres pays qui ont appelé l'Etat hébreu à contenir son offensive
militaire dans la région. Pour que les hostilités prennent fin, les deux parties
devront d'abord s'entendre sur une solution qui fera en sorte qu'Israël ne
subira pas à nouveau les attaques du Hezbollah, dont les troupes se servent du
Liban comme base d'opérations, a dit M. MacKay. "Un cessez-le-feu et un retour
au statu quo constituent une victoire pour le Hezbollah, a prévenu M. MacKay.
N'oublions pas qu'il s'agissait d'une attaque provoquée de la part d'une
organisation terroriste [...]. Les discussions doivent mettre l'accent sur la
disparition à long terme de la violence dans la région."
Les propos du ministre sont conformes à l'opinion que maintient depuis le
début de la crise le premier ministre Stephen Harper, suivant lequel le
Hezbollah est coupable d'avoir déclenché la violence et un retrait unilatéral
d'Israël ne résoudrait pas le problème. Le gouvernement conservateur est la
cible de critiques virulentes de la part de Canadiens arabes. Des milliers
d'entre eux se sont rassemblés à Montréal, Toronto, Ottawa et ailleurs en fin de
semaine dernière pour faire pression sur M. Harper afin qu'il modère sa
position. M. MacKay s'est montré très réservé, hier, sur la question de savoir
si le Canada accepterait de participer à une éventuelle force de maintien de la
paix susceptible d'être constituée sous les auspices de l'OTAN ou de l'ONU. Il a
aussi indiqué qu'il n'avait pas encore décidé s'il pouvait contribuer au
processus diplomatique en se rendant au Proche-Orient. Pour le moment, a-t-il
dit, il se préoccupe surtout de s'assurer que tous les Canadiens désireux de
quitter le Liban puissent le faire. Hier, plus de 6.500 ressortissants canadiens
étaient sortis du Liban, mais un nombre encore plus grand de Canadiens s'y
trouvaient toujours.
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C'est Israël le vrai responsable
par JOHN BERGER, NOAM CHOMSKY, HAROLD PINTER ET JOSE SARAMAGO*
publié dans le Monde du 27 juillet 2006
* John Berger est romancier essayiste ; Noam Chomsky est
linguiste ; Harold Pinter est dramaturge et Prix Nobel de littérature 2005 ;
José Saramago est écrivain et Prix Nobel de littérature 1998. Traduit de
l'anglais par Gilles Berton
Le dernier épisode du conflit entre Israël et la Palestine s'est ouvert
avec l'enlèvement à Gaza de deux civils, un médecin et son frère, par les forces
israéliennes. Un incident mentionné nulle part, sauf dans la presse turque. Le
lendemain, les Palestiniens capturèrent un soldat israélien, puis proposèrent
d'en négocier l'échange contre un certain nombre de prisonniers palestiniens -
ils sont environ 10.000 dans les prisons israéliennes. Que l' "enlèvement" d'un
soldat israélien soit considéré comme un scandale alors que l'occupation
militaire illégale de la Cisjordanie et l'appropriation systématique de ses
ressources naturelles - en particulier de son eau - par les forces de défense
(!) israéliennes sont acceptées comme un fait certes regrettable mais objectif :
voilà qui est typique de la politique du deux poids, deux mesures que l'Occident
pratique de façon systématique devant ce qu'endurent, depuis soixante-dix ans,
les Palestiniens sur des terres qui leur ont été allouées par des accords
internationaux.
Aujourd'hui, les scandales se répondent ; des missiles artisanaux
croisent en plein vol des engins autrement sophistiqués. Ces derniers vont
généralement atteindre leur objectif dans des zones où les plus déshérités
s'entassent en attendant ce qu'on appelait autrefois la Justice. Les deux sortes
de missiles déchiquettent les corps de façon tout aussi horrible - qui, hormis
les chefs militaires, pourrait l'oublier un seul instant ? Chaque provocation et
contre-provocation est montée en épingle et donne lieu à des leçons de morale.
Mais les débats qui en résultent, les accusations et les serments ne servent
qu'à détourner l'attention du monde d'une pratique militaire, économique et
géographique à long terme dont l'objectif politique n'est rien moins que la
liquidation de la nation palestinienne. Cela doit être dit à haute et
intelligible voix car ladite pratique, seulement exprimée à demi-mot et souvent
exécutée secrètement, progresse rapidement ces jours-ci, et c'est un devoir, à
notre avis, que de lui résister et de la dénoncer sans cesse et toujours pour ce
qu'elle est.
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Pourquoi une telle indifférence de l'UE
?
par NABIH DAOU,
publié dans le Temps le 26 juillet 2006
Pour la énième fois, le Liban est sujet aux attaques sauvages et aux
massacres barbares de l'Etat hébreu. Pour la énième fois, l'Union européenne
reste les bras croisés et les yeux fermés. Pourquo i? C'est tout simple. [...]
Chaque fois que les Nations unies condamnent l'Etat hébreu, le "veto" de l'Oncle
Sam est toujours là pour arrêter toute condamnation. Est-ce démocratique ?
Peut-être que oui, selon la définition de la démocratie de M.Bush en Irak. A
l'UE, j'aurais d'ailleurs envie de dire : "Rien ne vous émeut. Seul le cours du
pétrole motive vos actions. Ce qui vous intéresse, c'est de vendre des armes,
sans vous soucier de savoir pourquoi et comment ces armes seront utilisées.
[...] Soutien total à Israël, pour autant que les juifs restent là où ils sont,
c'est-à-dire en Israël." Pour soi-disant libérer deux soldats (peut-on croire à
un tel prétexte ?), ces massacres et ces destructions sauvages et barbares font
acte d'une vraie démesure. Je conjure donc tous les Etats de l'Union européenne,
ainsi que tous les pays libres, à réagir rapidement et fermement, afin de mettre
fin à cette barbarie. Enfin, je remercie la Suisse (mon second pays de cœur)
d'avoir été le premier pays à condamner cette démesure.
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Liban : vous avez
dit terroristes ?
par GREGOIRE BAILLOD,
pour le Collectif citoyen Suisse-Liban, Genève, publié dans le
Temps le 26 juillet 2006
Lutte contre le terrorisme : c'est ainsi qu'Israël justifie sa campagne
de destruction massive du Liban depuis dix jours, réalisant sa promesse de
ramener le pays du Cèdre "vingt ans en arrière" en le mettant à feu et à sang
sans la moindre retenue. Lutte contre le terrorisme : une justification qui
jouit d'une acceptation pratiquement sans bornes de la part de la communauté
internationale depuis un certain 11 septembre... A tel point que l'on ne se pose
même plus la question de savoir ce que l'on entend effectivement par terrorisme
- il suffit apparemment d'être Arabe et armé pour répondre aux critères.
Hezbollah, Hamas, Al-Qaida, même combat. Vraiment ? Voici la définition que
donne l'encyclopédie en ligne Wikipédia de terrorisme : "Le terrorisme est la
réalisation, par une personne, un groupe ou un Etat, d'actions violentes
destinées à produire sur la population civile un sentiment de terreur et de
produire des souffrances supérieures aux objectifs requis par l'objectif du
combat. Le terrorisme vise la population civile en général ou une de ses
composantes, une institution ou les structures d'un Etat. L'objectif peut être
d'imposer un système politique, de nuire à un système politique, ou d'obtenir la
satisfaction de revendications, de causer des destructions à un ennemi ou de
déstabiliser une société." C'est à se demander si Israël n'a pas consulté cette
encyclopédie avant de mener son attaque contre le Hezbollah, ou plutôt contre
l'ensemble du Liban et de sa population civile. (Pour plus de détails troublants
lire le reste de l'article "Terrorisme" de Wikipédia, et s'informer sur la
création du Hezbollah en réponse à l'invasion israélienne du Liban en 1982).
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Israël peut-il vraiment détruire
le Hezbollah ?
paru dans le Figaro le 20 juillet 2006
Analystes en stratégie et experts de l’armée israélienne doutent de la
capacité de Tsahal à mettre hors de combat le mouvement chiite libanais.
En lançant son offensive sur le Liban, Israël avait un objectif principal
: récupérer ses deux soldats enlevés par le Hezbollah. En termes militaires,
l’armée israélienne se donnait trois défis : faire cesser les tirs de roquettes
sur le nord de l’Etat hébreu, éliminer les dirigeants du Hezbollah et repousser
les combattants du mouvement chiite de la zone limitrophe à Israël. Après neufs
jours de raids, un porte-parole de l’armée dressait un constat amer : "140
roquettes se sont abattues sur le nord d'Israël depuis mercredi matin, portant à
près d'un millier le nombre de ces engins tirés sur Israël par le Hezbollah
depuis le début de l'offensive israélienne au Liban, le 12 juillet". Les tirs de
roquettes ont fait 15 morts parmi les civils israéliens.
"L’illusion d’une solution miracle s’évanouit"
Le quotidien Yediot Aharonot évoque déjà une "amère victoire". "Aucun des
objectifs fixés par le premier ministre ne sera atteint", estime un
éditorialiste. "Les soldats enlevés ne seront pas restitués sans contrepartie,
le Hezbollah ne sera pas désarmé et l'armée libanaise ne fera pas grand chose à
la frontière". Le Haaretz renchérit : "D'une façon ou d'une autre, l'illusion
d'une solution miracle s'évanouit". Au sein de l’administration israélienne, le
ton change également. "Je pense qu'en fin de compte, nous ramènerons les soldats
à la maison et si l'une des voies passe par une négociation sur le sort de
prisonniers libanais, je pense que nous devrons la considérer un jour", déclare
Avi Dichter, le ministre de la Sécurité intérieure, respecté pour son passé de
patron du Shin Bet, le renseignement israélien. "Cela a été une erreur d'exclure
un échange. Il s'agit parfois du dernier recours quand les options militaires ne
sont tout simplement pas réalisables", soutient également Danny Yatom, général à
la retraite et désormais député du Parti travailliste, partenaire de la
coalition gouvernementale.
"Israël est dans le pétrin"
Les analystes militaires ne sont guère plus optimistes : "Il est
indéniable qu'Israël est dans le pétrin. Tsahal a surestimé ses capacités de
briser le Hezbollah", constate l’Israélien Reuven Pedatzur. Le risque, selon
lui, est que "l'armée déclenche une vaste opération terrestre au Sud-Liban, ce
qui la rendrait vulnérable aux actions de guérilla du Hezbollah". "Le Hezbollah
semble tenir le coup et son moral semble intact", souligne Shaoul Mishal,
spécialiste des mouvements islamiques, de l'université de Tel-Aviv. Selon lui,
"il est illusoire de croire qu'on pourra détruire par la seule force des armes
un mouvement comme le Hezbollah". Au-delà de la ténacité du mouvement chiite,
l’armée israélienne se heurte à des problèmes stratégiques, et constate sur le
terrain les limites d’une opération purement aérienne. Le général Alon Friedman,
en poste dans la région nord d'Israël, explique d'ailleurs que l'armée "opère
pour détruire les infrastructures du Hezbollah notamment les bunkers souterrains
et les stocks de roquettes difficiles à localiser et neutraliser par
l'aviation".
Aucune bombe capable d’éventrer les bunkers du Hezbollah ?
Mercredi soir, l’aviation israélienne a largué un tapis de 23 tonnes de
bombes sur un bunker du Hezbollah, dans la banlieue sud de Beyrouth, croyant
savoir que des dirigeants du Hezbollah s’y trouvaient. Comme à son habitude, le
Hezbollah a aussitôt démenti. Ce déluge de bombes s’explique, selon Alon
Ben-David, analyste pour le magazine britannique Jane’s Defence Weekly, par le
fait qu’Israël ne possède aucune bombe capable d’éventrer les solides bunkers
dans lesquels se terrent les chefs du Hezbollah. Israël avait demandé en 2004
aux Etats-Unis de lui vendre des bombes capables de pénétrer des bunkers. Le
Pentagone avait approuvé la vente de cent bombes GBU-28 l'an dernier. Mais le
ministère israélien de la Défense n’a finalement pas acheté les engins pour
cause de coupes budgétaires. Une version allégée du GBU-28, pesant 2.272 kg et
pouvant pénétrer sept mètres de béton a été conçue par Israël, explique encore
qu’Israël a subi quelques surprises au sujet de l’armement du Hezbollah. Une
corvette israélienne a ainsi été touchée le 14 juillet par un missile sol-mer
Noor. "Nous ne savions pas que le Hezbollah possédait ce type de missile", qui
atteindrait une portée de 200 km, reconnait l’amiral Noam Faig, chef des
opérations maritimes israéliennes. Selon le Jane’s Defence, le Noor, fabriqué en
Iran sur une base de C-802 chinois, aurait une portée de 200 km et serait même
guidé par radar.
La majorité des experts estiment qu’en toute hypothèse, Israël devra
choisir entre le déploiement d’une force internationale et une vaste offensive
terrestre, fatalement coûteuse en vies humaines, mais seul moyen efficace de
débusquer les chefs du Hezbollah et de détruire les stocks souterrains de
roquettes.
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L’encadrement familial pour
juguler la peur
par VIVIANE MATAR TOUMA, psychologue et psychothérapeute,
publié dans l'Orient-le Jour le 22 juillet 2006
A-t-on le droit d’avoir peur ? Faut-il exprimer ou camoufler sa peur ?
Des questions qui se posent avec acuité, notamment au niveau des jeunes. Quels
que soient l’âge, la situation, le statut de chaque personne, la peur est un
facteur humain, c’est-à-dire totalement normal. Croyants ou athées, à chacun ses
peurs et ses appréhensions. Dans la situation actuelle, la peur se manifeste
dans chaque foyer. La peur de la mort mais aussi la peur de l’avenir. "Que
vais-je devenir ? Et mes parents, mes amis et les projets d’avenir ?..."
s’inquiète une jeune fille de 19 ans. Avant de parler de la situation du
Libanais, parlons de l’homme, de l’humain. L’être humain a des craintes et des
appréhensions qui relèvent de facteurs en rapport avec les croyances,
l’appartenance, l’éducation, le caractère et bien d’autres paramètres.
L’expression de la peur diffère d’une personne à l’autre. Les uns sont modérés
dans leurs réactions, les autres théâtralisent, exagérant la situation (état de
panique). Certains camouflent leurs peurs, refoulant ainsi les affects, mais
courant le risque de voir s’ouvrir un jour la soupape de sécurité qui,
jusque-là, gardait la personne sous contrôle. Celui qui exprime sa peur ne la
dépasse pas nécessairement, mais réduit l’intensité de la pulsion. Dans le cas
contraire, la personne court le risque de perdre son équilibre à long terme.
Le Libanais, quelles que soient son appartenance, ses croyances, sa
religion, sa confession, est capable de gérer sa peur d’une manière ou d’une
autre. L’âge, l’expérience et l’éducation influencent ses réactions. Un facteur
vient s’ajouter aux précédents, celui de la guerre. Nous distinguerons les
Libanais, qui ont vécu la guerre du dernier quart de siècle, de ceux qui ne
l'ont jamais vécue, en passant par ceux qui ont quitté le pays au début du
conflit. Les personnes qui ont déjà vécu la guerre la vivent différemment
lorsqu’elle se répète. Certes, elles ne se réjouissent pas de la reprise du
conflit armé, mais se trouvent capables de maîtriser leurs affects et de gérer
leur peur. Quant à ceux qui ont quitté le pays en temps de guerre (surtout dans
des conditions difficiles), ils ne peuvent supporter la reprise des
affrontements. Ils associent à leurs peurs une mélancolie et une perte de
l’espoir en un retour dans leur pays d’origine. Les jeunes de l’après-guerre
sont les plus affectés aujourd’hui, parce que la situation est inhabituelle pour
eux et par le fait même mystérieuse dans le sens où "tout peut se passer".
Certains de ces jeunes perdent l’espoir et sont stressés sans toutefois se
laisser aller. D’autres perdent le nord et cherchent à tout prix à quitter le
pays (sans vraiment avoir un but bien déterminé).
Le rôle des parents et de la famille s’avère primordial. Dans les
circonstances présentes, il nous est demandé d’encadrer nos enfants et les
jeunes, d’écouter leur souffrance, de comprendre leurs craintes, de se mettre à
leur niveau et leur expliquer la situation. Autrement dit, de communiquer et de
ne pas banaliser la situation. Aujourd’hui, plus que jamais, le Libanais est
invité à "réfléchir à ses actes" et à ne pas se lancer dans l’inconnu. Prise
dans le tourbillon des événements, toute personne peut être emportée par le
courant et se retrouver au fond du gouffre. Il est important d’exprimer ce que
l’on ressent et de parler de ses peurs. Mais il est indispensable aussi de
prendre du recul et de prendre le temps de réfléchir à la situation vécue pour
mieux cibler son comportement.
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Le désarroi des cinéastes libanais à
la 8e Biennale de l'IMA
par JACQUES MANDELBAUM,
publié dans le Monde du 25 juillet 2006
Beaucoup de cinéastes libanais vivent entre le Liban et la France. Saisie
par la guerre qui frappe son pays d'origine, cette communauté de réalisateurs
assiste, médusée, au déferlement de violence, et s'emploie à pallier son
impuissance. La 8e Biennale des cinémas arabes à Paris, qui se tient du 22 au 30
juillet à l'Institut du monde arabe (IMA), devient la caisse de résonance de
leurs initiatives. Le ton a été donné lors de la soirée d'ouverture, vendredi 21
juillet, par le cinéaste Yves Boisset, qui a appelé "les cinéastes et
intellectuels à faire pression sur leurs gouvernements pour que cette boucherie
abjecte s'arrête le plus vite possible". L'IMA a décidé de programmer, avant
chaque séance, un des quatre spots de trente secondes réalisés, dans l'urgence,
par un collectif issu de la jeune garde du cinéma libanais. Délibérément
dépourvues d'images spectaculaires, jouant volontiers sur l'obturation de
l'image par un cache noir qui leur donne un aspect de faire-part de décès, ces
vignettes minimalistes, d'une sobre et digne efficacité, s'achèvent toutes sur
l'inscription "Laisserons-nous le Liban mourir sous nos yeux ?"
Ghassan Salhab à Beyrouth, Akram Zaatari, Khalil Joreige, Joana
Hadjithomas et Danielle Arbid à Paris y ont oeuvré, dans la fébrilité et
l'inquiétude - tous ont des parents sous les bombes - de leurs nuits blanches.
Les mêmes, associés à d'autres cinéastes présents durant la Biennale, ont lancé
l'idée d'une réunion quotidienne sur le parvis de l'IMA, appelant les cinéastes
français à les rejoindre pour réfléchir avec eux aux actions à mener. Par
ailleurs, Danielle Arbid a lancé une pétition dans ce sens qui circule en ce
moment sur Internet, d'ores et déjà signée par des dizaines de réalisateurs
français. Ces initiatives témoignent d'un sentiment mêlé d'indignation et de
résignation qu'exprime avec justesse cette cinéaste née en 1970 à Beyrouth, qui
vit en France depuis 1987 : "Je suis en colère à la fois contre le Hezbollah et
contre Israël. Les premiers ont pris en otage la population libanaise tout
entière, les seconds détruisent méthodiquement le pays. Nous vivons aujourd'hui
un traumatisme d'autant plus terrible que nous pensions être enfin sortis de la
guerre et avoir le droit de vivre en paix."
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Pour un Liban responsable de ses
frontières
par ANTOINE JOSEPH ASSAF, écrivain et philosophe,
publié dans le Figaro le 20 juillet 2006
Voici donc une autre guerre au Liban après trente ans de guerre et de
paix avortées et les leçons à tirer sont aussi évidentes que le soleil de
l'Orient.
Première leçon : seul le droit peut donner à la paix son fondement stable
et inébranlable dans un monde où la nature humaine passe pour être fragile et
imprévisible. Or qui peut dire aujourd'hui que le Liban ne méritait pas sa paix
et le droit qui pouvaient garantir sa stabilité ? Il a aussi besoin de la force
nécessaire pour consolider la paix et permettre à l'esprit du droit et de la
liberté de s'épanouir là où la violence terroriste aveugle remplace la justice,
l'arrogance le droit et la barbarie la liberté. Il faut donc une force
internationale capable d'assurer une transition réaliste pour que la légitimité,
la souveraineté et l'indépendance du Liban soient établies contre la barbarie et
le chaos.
Deuxième leçon : seul l'esprit critique, avec le jugement et la lucidité
nécessaires, pouvait donner aux chefs et aux dirigeants d'un pays qui a connu
tant de divisions et de guerres la nouvelle chance issue d'un long purgatoire :
onze ans de prisons pour Samir Geagea ; quinze ans d'exil pour le général Michel
Aoun ; l'assassinat pour Hariri et le retour à un discours nationaliste de
résistance, après tant d'autres discours colorés, de Walid Joumblatt. Seul
Nasrallah et sa milice du Hezbollah ont continué à caresser les rêves de
victoire et de grandeur. Il est temps de leur faire comprendre, avant le
désastre, que cela est inutile pour un parti authentiquement libanais représenté
par vingt-quatre députés au Parlement et deux ministres au gouvernement ; il est
temps de leur dire plus haut que le bruit des bombes qu'ils seront seuls et que
leurs alliés, la Syrie et l'Iran, ne viendront pas se battre et mourir sur le
front des martyrs de Dieu. Ces pays ont toujours préféré celui de la démission,
de l'illusion et de la démesure des empires passés.
Troisième leçon : seul l'ordre est nécessaire pour une grande puissance
victorieuse pour qu'elle puisse gagner la paix après la guerre. Or Israël est
une nation qui a gagné toutes ses guerres mais qui a toujours perdu cette paix
tant désirée et si ajournée. Il lui fallait la "paix en Galilée" et en effet
elle a réussi à l'avoir, bien que fragile, pour un temps avec cette "bonne
frontière" qu'elle avait réalisée avec la défunte Armée du Liban-Sud, abandonnée
depuis et disséminée entre les prisons du Hezbollah et l'exil en Israël ! Ses
généraux légendaires Haddad et Lahad sont morts mais le principe ne l'est pas :
il faut que l'armée libanaise soit enfin capable de jouer ce rôle majeur qui
réhabiliterait son image et rendrait au Liban la légitimité et la surveillance
naturelle et légale de ses frontières.
Que voulez-vous, grands de ce monde, l'Orient vit toujours sous une
espèce d'éternité et la réalité de l'histoire reste pour lui voilée derrière les
métaphores obscures et les discours grandiloquents. Mais les vrais carrefours
sont là devant nous : ou bien le Liban est adopté par le monde libre, au-delà
même de "la feuille de route" pour le sauver, ou bien c'est le grand chaos des
vieilles civilisations. Car quand les plus humbles et les plus innocents
attendent le salut venant de la France et de l'Occident, les plus obstinés et
les plus farouches - ceux qui préfèrent les ruines de Persépolis aux cèdres
éternels - rêvent encore du retour victorieux de la Syrie agonisante des lions
et de la Grande Perse du triste Darius poignardé.
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Communiqué de presse des
co-présidents du Conseil d’Eglises chrétiennes en France au sujet de la
situation au Proche-Orient
Paris, mercredi 26 juillet 2006
> Cardinal JEAN-PIERRE RICARD, Archevêque de Bordeaux, Président de la
Conférence des évêques de France
> Pasteur JEAN-ARNOLD DE CLERMONT, Président de la Fédération protestante de
France
> Métropolite EMMANUEL, Président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de
France
La région du Proche-Orient se trouve une nouvelle fois face à une flambée
démesurée et irrationnelle de violence qui touche toutes les populations
civiles. Plus particulièrement, le Liban est à nouveau meurtri et dévasté par
l’ampleur des destructions occasionnées par les opérations militaires qui se
déroulent sur son sol et qui n’épargnent pas les civils.
> Face à la situation alarmante que vit actuellement le Liban et devant les
risques sérieux d’un véritable drame humanitaire qui menace la population de ce
pays, il est de notre devoir, en tant que responsables d’Eglises chrétiennes en
France, catholiques, protestants et orthodoxes, de lancer un appel vigoureux aux
différentes parties en cause ainsi qu’à tous les responsables politiques, chefs
d’Etat, de gouvernement et d’organisations internationales pour parvenir à un
cessez-le-feu immédiat afin d’arrêter toutes les opérations militaires de part
et d’autre, et soulager les populations et les victimes de toutes les parties en
cause. Nous exprimons notre profonde solidarité avec toutes les populations
civiles qui, de part et d’autre de la frontière libanaise, se trouvent sous les
menaces des bombes, de la destruction et de la mort et vivent des moments
tragiques. Nous condamnons fermement le recours à la violence et à la force et
appelons toutes les parties en cause à recourir au dialogue pour trouver des
solutions pacifiques aux conflits existants. Le recours à la violence n’a pour
effet que d’exacerber les tensions et les ressentiments de part et d’autre. Or
cette région du monde, tellement meurtrie depuis des générations, a aujourd’hui
besoin, plus que jamais, de la paix.
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